"Os de lune" de Jonathan Carroll
L’histoire : Entre rêve et réalité, une jeune femme est partagée entre deux mondes, entre deux vies. Dans la première, elle est la mère d'une adorable petite fille, dans le New York de la fin des années 80 ; dans la seconde, elle parcourt avec un garçon qu'elle n'a jamais eu l'étrange monde de Rondua, où les animaux parlent, et où le danger rôde...
La critique de Mr K : Chronique d’une lecture différente et très enthousiasmante aujourd’hui avec Os de Lune de Jonathan Carroll, un ouvrage que Nelfe m’avait dégoté lors d’un désherbage de médiathèque et dont la quatrième de couverture lui avait clairement laissé penser qu’il était pour moi. Pour reprendre les mots de Neil Gaiman dans sa préface de mon édition, "lire Jonathan Carroll c’est expérimenter une écriture et une vision du monde différente". Rien n’est plus vrai tant ce récit m’a happé, interpelé et diablement plu.
Cullen est une femme heureuse. Elle vit le parfait amour avec Danny avec qui elle a eu une magnifique petite fille, Maé. Ils résident à New York dans un appartement qui leur convient, ils ont un meilleur ami épatant qui vit juste en dessous de chez eux et ils ne sont pas à plaindre niveau financier. Mais Cullen fait depuis quelques temps des rêves étranges où elle arpente un monde parallèle décalé avec un jeune garçon (Pepsi -sic-) qui serait son fils. Une menace sourde se profile dans ce monde onirique sans qu’aucun lien ne semble exister avec la réalité...
Le récit commence assez classiquement avec l’histoire de la rencontre avec Danny, de la vie d’avant Maé. C’est frais, les personnages sont très attachants et Cullen tout particulièrement. C'est une femme décidée, forte, espiègle par moment, qui n’est pas une pauvre petite chose fragile et qui possède une intelligence pétillante. On aime l’accompagner, apprendre à la connaître, à la voir se transformer avec son nouveau statut de mère. Elle et sa bande d’amis n’ont pas été épargné en début de vie et la stabilité semble être désormais de mise. On croise nombre de personnages secondaires séduisants dont le fabuleux Eliot, le meilleur ami qu’on souhaiterait tous avoir, ou encore un obscur cinéaste d’art et essai complètement perché.
En parallèle, Cullen explore donc le monde de Rondua, en quête des mystérieux os de Lune qui donnent le pouvoir absolu à celui qui les détient. C'est un monde peuplé d’êtres étranges et hybrides, aux paysages parfois délirants et où les lois physiques ne sont pas forcément les mêmes que chez nous, où personnages et décors semblent évoluer selon l’humeur, le temps qu’il fait. Ces passages oniriques sont totalement fantasmagoriques et livrent peu à peu des éléments clefs sur Cullen, sur sa psyché. Les liens se multiplient et le livre lorgne clairement parfois vers les œuvres si déjantés et fascinantes de Lewis Carroll dont l’auteur partage le patronyme.
Cette dichotomie entre fantastique et réalisme, avec son lot de personnages bien fouillés et le glissement vers le rêve, opère subtilement et admirablement, maintenant le lecteur dans un état rare de fascination. On se demande bien où l’auteur nous emmène et comme le roman est court, il faut avoir des réponses qui tiennent la route. Tout cela fonctionne parfaitement entre jeu de miroir ésotérique et portrait de femme saisissant. Le rythme général est lent, l’auteur prend son temps mais la portée des événements qui nous sont rapportés donne à l’ensemble une force, un souffle peu commun.
Une expérience à part vraiment, servi par une langue délicieuse et une science de la narration millimétrée sous couvert de récit bien barré. Un sacré mix qui a fait mouche chez moi. Laissez vous tenter à votre tour.