"Émergence 7" de Vincent Mondiot et Enora Saby
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L’histoire : Déménager, c’est toujours dire adieu à une partie de son passé. Léon en a bien conscience, ce matin-là, alors qu’il attend le bateau qui l’emmène au collège. Bientôt, il va devoir quitter la petite île bretonne sur laquelle il a toujours vécu. Comment l’annoncer à Joachim, son meilleur ami, ou à Alex, la fille dont il est amoureux ? Mais tout ça n’a plus d’importance quand soudain une créature gigantesque et mystérieuse émerge de l’océan pour semer derrière elle la mort et la destruction. Vingt ans plus tard, devenu adulte, Léon revient sur les lieux du drame. Et il se souvient de ce qui a été, de ce qui ne sera plus.
La critique de Mr K : Superbe découverte que cet ouvrage jeunesse intégralement illustré qui m’a été conseillé par la libraire indépendante de la commune où j’exerce et avec qui nous travaillons régulièrement avec la professeur documentaliste de mon établissement. À chaque visite, après diverses activités, elle propose toujours de présenter aux jeunes un ouvrage qui pourrait leur plaire et elle fait souvent mouche. À mon tour aujourd’hui de vous parler d’Émergence 7 du duo Vincent Mondiot à la plume et Enora Saby pour l’aspect illustration. Ce projet est une véritable réussite qui allie un fantastique prenant et un récit intimiste poignant qui vous laisse pantois en toute fin de lecture. Sacrée expérience vraiment !
Une île bretonne, un quai. Sept collégiens attendent le bateau-bus pour se rendre dans leur établissement scolaire sur le continent pour une nouvelle journée de cours. Léon, le narrateur, y est avec son meilleur ami Joachim avec qui il partage beaucoup de choses à commencer par leur passion pour les comics et la volonté d’en écrire un ensemble (l’un écrit, l’autre dessine). Il y a Romane, la grande sœur de Joachim, au caractère bien trempé et ultra protectrice avec Nina, la plus jeune du groupe dont elle a régulièrement la charge en tant que baby-sitter. On trouve aussi Alex, la belle rebelle dont est secrètement amoureux Léon, ainsi que Priscille, la première de la classe insupportable, et Elliott, le bad guy du coin qui se la raconte beaucoup. Ces sept là sont donc réunis ensemble ce jour si particulier mais tellement semblable aux autres du moins à son démarrage. On se prend la tête, on se chicane, on se confie des secrets, on se jauge…
Puis tout bascule avec l’arrivée d’un monstre gigantesque qui ravage tout sur son passage. Les sept protagonistes se retrouvent engloutis par un véritable raz de marée et reprennent leurs esprits toujours à côté du quai mais leur monde a définitivement changé. Le village est détruit quasi intégralement, tout ce qu’ils connaissaient est irrémédiablement bouleversé et les morts se comptent par dizaines. Le récit s’attarde donc sur les suites : leurs réactions, leurs réflexes, les relations entre eux durant les heures qui suivent, leurs découvertes et malheureusement les suites de cette attaque venue de nulle part... Car elle n’est pas terminée, le monstre continue à avancer et bientôt des nuées d’hélicoptères de l’armée débarquent avec la ferme intention de le détruire sans forcément se préoccuper des éventuels survivants...
La première grosse réussite de cet ouvrage réside dans la caractérisation et le traitement des sept protagonistes. Beaucoup d’auteurs pour adultes devraient s’en inspirer tant ici l’immersion est totale, crédible et jusqu’au-boutiste. L’empathie fonctionne à plein et l’horreur se dispute à la mélancolie et l’angoisse durant tout le récit. Les relations entre ados sont fraîches, collées au réel, je pourrais entendre certaines de leurs conversations dans les couloirs de mon bahut (le monstre en moins ainsi que les scènes apocalyptiques je vous rassure). On rit beaucoup de leurs façons de s’envoyer des piques et des vannes de mauvais goût mais teintées d’authenticité et de la volonté de s’exprimer, d’exister. Alors oui, c’est un âge difficile mais ils sont diablement attendrissants dans leur manière de se débattre avec leur propre existence. Cet ouvrage est un bel hommage à cet âge ardu entre poussées d’hormones, besoin d’affection et d’affirmation de soi, sentiments exacerbés et quête d’émancipation par rapport aux adultes avec une psychologie fine et développée, des moments de grâce pure qui alternent avec des tragédies qui prennent aux tripes. On n’en sort pas indemne croyez-moi et ne vous attachez pas trop aux personnages. Moi je l’ai fait et j’avais le cœur en miettes en refermant l’ouvrage.
L’aspect fantastique est bien rendu aussi, bien que finalement cet aspect soit secondaire et accompagne le parcours de chacun. Il y a ce mystérieux monstre surgit de nulle part comme dans le très sous-estimé Pacific Rim de Guillermo Del Toro (à voir si ce n’est déjà fait pour tous les amateurs de SF / Space), colosse brumeux, inarrêtable et qui détruit tout sur son passage. Vous voulez des explications plus précises ? Vous n’en aurez pas beaucoup plus sinon que des attaques de ce type se répètent un peu partout dans le monde au même moment. La réaction des autorités ferait presque plus froid dans le dos dans un déchaînement de violence aveugle qui aura de lourdes conséquences, on est dans du pur post-apo où finalement les êtres humains n’ont rien à envier à la menace principale.
L’écriture de Vincent Mondiot est parfaite, directe et non exempte de poésie par moments, elle enveloppe littéralement le lecteur et le maintient captif d’un récit enlevé qui ne laisse rien au hasard et ne sacrifie jamais à la facilité malgré la cible visée. Qu’il est bon de lire un livre qui ne prend pas nos jeunes pour des imbéciles ou des êtres à préserver absolument ! C’est rude, brut de décoffrage mais l’ensemble respire le réalisme et la volonté de partager des moments purement humains et donc perfectibles. La mise en page est sublime avec une Enora Saby inspirée par le manga mais s’en détachant pour proposer des quasi peintures à chaque page qui lient le tout, accompagnent le lecteur et l’émerveillent tout autant qu’elles l’effraient en même temps. L’ouvrage est décidément un bien bel objet que l’on feuillette à loisir avec un bonheur renouvelé quoiqu’avec une légère amertume en bouche tant la tragédie touche.
J’arrête là, vous l’avez compris, Émergence 7 est un petit bijou formel et de contenu, une expérience à part entière qui ne peut laisser indifférent. Je ne saurais trop vous conseiller de le lire à votre tour, il est bluffant dans son genre et laisse des traces durables dans l’esprit du lecteur. Ouah !