"Anoushka 79" de Patrick Eudeline
L’histoire : Paris 1979. Un Paris post-punk, crépusculaire, qui se prépare aux délétères années 80 et à celles qui vont suivre : à la fin d'un monde. Tout cela raconté au présent, le présent de 79. Anoushka, éphémère starlette destroy, a disparu. Et Simon, jeune punk et fils honteux d'un acteur célèbre, fera tout pour la retrouver.
Violence, drogues, sexe... Patrick Eudeline joue avec les miroirs et ses souvenirs d'ancien leader punk pour nous restituer la poésie urbaine et rock and roll d'un monde perdu à jamais. Il y aura encore des éclairs, bien sûr, mais la messe est dite, et celle-ci est un requiem punk, un requiem pour Paris, alors en perpétuel chantier.
Ce Paris qui n'est plus, qui ne peut plus être, que, déjà, on massacrait. Le punk rock, c'était le dernier bal, Marie-Antoinette sous les décombres, l'ultime flash de romantisme avant la chute dans les ténèbres. No Future, assurément.
La critique de Mr K : Lire un Patrick Eudeline est toujours source de plaisir déjanté pour moi. Cet ex chanteur punk (le groupe Asphalt Jungle, des précurseurs du genre), chroniqueur rock inspiré et aussi romancier plus que séduisant avec notamment les deux tueries littéraires Ce siècle aura ta peau et Dansons sous les bombes, est un talent unique, un écrivain destroy au style incandescent et au propos no future et tendre à la fois. C’est Nelfe qui m’a dégoté le présent ouvrage lors d’un désherbage de la médiathèque du secteur et on peut dire qu’elle a eu du flair. Cette troisième incursion dans la bibliographie d’Eudeline s’est révélée toute aussi plaisante et jubilatoire que les précédentes.
1979 : les années punk en France sous fond de contexte morose et d’espoirs naissants quant à une putative victoire de la gauche que l’on n’ose pas encore imaginer caviar. Le jeune narrateur, Simon un fils de …, vivote dans l’ombre étouffante d’un père archi connu. Drogue et rock and roll sont au menu, les études ne sont qu’une illusion, il enchaîne les trips et les réveils difficiles. Il traîne à l’occasion avec Anoushka entre deux prises de drogue, une coucherie et des soirées dont on ne se rappelle plus trop le déroulé… Justement, un matin Anoushka n’est plus là, impossible de lui mettre la main dessus, elle semble avoir totalement disparu.
Simon part à sa recherche, il remue ciel et terre pour la retrouver. Pas évident quand on connaît cette jeune fille mauvaise sous tout rapport, grande consommatrice de dope, qui papillonne de lieu en lieu, de personne en personne sans avoir réellement un port d’attache et d’habitudes bien ancrées. Simon n’en a cure car elle représente quelque chose qu’il n’a jamais connu, un bonheur fugace, en tous les cas une lumière dans la nuit, un espoir. Oh... il ne se berce pas d’illusions, il sait que la belle tient bien moins à lui que lui à elle, mais il la retrouvera, il en est sûr...
Ce roman est la chronique d’un monde en pleine chute, la fin de la récré que l’on siffle. Les années 70 explosent en plein vol et les mortifères eighties vont débuter. Ça sniffe pas mal dans la colle dans ces pages où l’on se détruit joyeusement les neurones, où la nuit ne semble ne pas avoir de fin et où les âmes et les corps s’entrechoquent. That’s rock and roll baby ! Paradis artificiels, musique, exploration du Paris interlope de l’époque sont au programme de cette quête désespérée d’un Simon halluciné qui ne sait plus à quel saint camé se vouer ! La balade est hypnotisante, au gré des déambulations du héros dans un Paris croqué avec justesse et géographiquement imparable. Je n’ai pas connu la capitale de cette époque (pensez-donc 79, j’avais 2 ans !) mais on s’y croirait.
Simon est attachant dans son genre, pauvre petit garçon riche qui découvre (enfin) la life suite à la disparition d’une starlette destroy qui lui inspire des sentiments à sens unique dont il ne peut se dépêtrer. La chute n’est pas loin, la patrouille se rapproche mais il avance comme il peut. Navigue autour de lui une galerie de personnages hauts en couleurs, figures de leur époque avec même l’auteur lui-même qui se met en scène dans quelques passages bien sentis lors de discussions endiablées au bar ou dans des soirées branchées bien poudreuses entre élévations chimiques et retombées mélancoliques sans fond. Trainspotting, ça vous dit quelque chose ?
Il ne fallait pas moins que l’écriture bien branque d’Eudeline pour retranscrire cela sans pathos ni effets faciles. C’est fulgurant, sec comme un uppercut à l’estomac et on en redemande. Dans le genre, on fait difficilement mieux surtout que l'ouvrage ne sacrifie jamais son authenticité et la fin cueille littéralement le lecteur. Une sacrée expérience et une lecture inoubliable pour ma part, Eudeline a encore frappé.