"Deux innocents" d'Alice Ferney
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L'histoire : Claire enseigne à L’Embellie, établissement associatif où l’on tente de mettre sur les rails de la vie active des jeunes gens en grande difficulté. Elle s’épanouit au contact de ces élèves sans filtre, dont le cœur est l’organe dominant. Elle a cela en commun avec eux. Et c’est ainsi qu’à la rentrée 2018, avec l’arrivée dans sa classe du jeune Gabriel Noblet, Claire "tombe dans une histoire" aux conséquences irréparables.
La critique de Mr K : Encore un ouvrage prêté par ma collègue professeur-documentaliste du lycée aujourd’hui au programme. Je partais évidemment très confiant vu mes deux précédentes lectures d’Alice Ferney qui m’avait toutes comblé (voir liens en fin d’article). Deux innocents date de cette année et j’étais totalement passé à côté de cette actualité. Heureusement, j’ai pu me rattraper car c’est encore une fois un sans faute, une lecture marquante avec des accents à la Flaubert qui ne sont pas pour me déplaire.
Claire travaille dans une association privée comme professeur vacataire. Cette ex secrétaire de direction enseigne à des jeunes en grandes difficultés (handicaps plus ou moins lourds) des notions de secrétariat, comptabilité, informatique dans une optique d’insertion professionnelle durant quatre heures dans sa semaine. L’école inclusive ne l’est pas forcément autant que ça pour ces jeunes-là et elle met tout son cœur à l’ouvrage dans ce qu’elle définit comme une mission, un sacerdoce. Chrétienne fervente et pratiquante, elle aime ses élèves, ne souhaite que leur bonheur et entretient avec eux des relations chaleureuses, presque amicales. Les résultats sont là, les parents sont contents, les enfants aussi, sa réussite semble totale.
À la rentrée 2019, un nouvel élève Gabriel arrive dans sa classe. Le jeune est sur la réserve, replié sur lui-même, semble incapable de s’épanouir dans la classe, on sait seulement qu’il y a eu des soucis dans son précédent établissement. Peu à peu au contact de Claire, il va éclore, bourgeon qui a besoin d’attention et d’amour. Claire n’est pas avare en sollicitations pédagogiques, en encouragements, en prévenance, accolades et tendresse. Pendant les vacances qui suivent, elle va être convoquée par sa directrice en présence des parents de Gabriel, ils l’accusent de gestes déplacés envers leur enfant. Toutes les certitudes de Claire s’effondrent et c’est le début de la descente aux enfers avec un événement terrible qui va précipiter les choses, la changer profondément et l'amener à se battre pour ce qu’elle croit juste.
J’ai adoré cette lecture malgré finalement peu d’empathie pour les personnages qui peuplent ces pages. C’est bien la preuve que l’humanité est complexe, que l’âme humaine est parfois insondable et que chacun vit avec sa part d’ombre. Ainsi Claire m’a déplu au départ par son côté gnangnan à côté de la plaque pour finalement me toucher lorsque les nuages s’accumulent au dessus d’elle et qu’elle prend conscience des choses dans leur intégralité. La directrice est particulièrement détestable et représente bien d’ailleurs l’aspect managérial enseigné désormais aux chefs d’établissements qui n’éprouvent trop souvent aucun état d’âme à l’égard de leurs enseignants précaires et donnent régulièrement raison à l’inconcevable sans chercher à soutenir leur personnel. La mère de Gabriel est aussi un personnage clef dont la douleur transfigure sa capacité à l’empathie et à tout jugement sain. Elle et tous les autres personnages sont traités avec finesse, habileté sans jamais tomber dans le pathos. On croise les regards au fil de l’affaire, on essaie de comprendre les tenants et aboutissants en même temps que l’auteure avec une curiosité dérangeante, l’estomac se nouant au fil des chapitres qui s’égrainent très facilement.
Écrit à la troisième personne du singulier, sans dialogue direct, on lit cet ouvrage comme un compte rendu, une tranche de vie. Comme évoqué plus haut, j’ai ressenti des impressions de lecture semblables à ceux vécus pour de grands romans du XIXème siècle, Mme Bovary ou encore L’Éducation sentimentale, deux chefs d’œuvre que j’ai adorés et que je devrais d’ailleurs relire (sic). L’ambiguïté, la passion et la raison qui s’opposent, la tempête qui bouillonne chez des êtres du commun, le drame qui surgit et bouleverse une vie, la folie qui guette face à l’insoutenable... autant d’aspects brillamment enchevêtrés dans un récit passionnant et passionné.
La plume d’Alice Ferney fait encore merveille avec un choix des mots primordial qui rend totalement addict dès la fin du premier chapitre. Malgré un sujet grave, des moments de vie disséqués pas évident à avaler, on prend vraiment plaisir avec cet ouvrage. Personnellement je l’ai lu en un temps record et je vous souhaite le même bonheur quand vous entreprendrez cette lecture.
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Grâce et dénuement
- Dans la guerre
- Les Autres