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Le Capharnaüm Éclairé
26 août 2023

"Les Ciels furieux" d'Angélique Villeneuve

 

L’histoire : Il y a un grand bruit du côté de la porte, un grand froid, plusieurs vitres tombent comme la glace qui finit par céder à la lisière du toit, mais pas vraiment pareil. Des hommes, on ne sait pas qui ni combien tant ils semblent pressés, envahissent la pièce tels des chevaux furieux.

 

À l'est de l'Europe, quelque part dans la Zone de Résidence où sont cantonnés les Juifs en ce début du XXe siècle.

 

Henni a huit ans et vit avec sa famille dans un village ordinaire. Zelda, sa sœur aînée, est son modèle en tout. Un soir, à la fin de l'hiver, des hommes en furie pénètrent dans leur maison, comme dans tant de maisons ils sont entrés et entreront encore pour piller, pour punir et pour tuer. Dans l'affolement, une partie de la fratrie parvient à s'enfuir.

 

Les Ciels furieux raconte vingt-quatre heures de la vie d'Henni après cette intrusion. Et c'est comme si on marchait derrière elle, dans le froid, effaré mais renversé aussi par le monde que, pour survivre, elle recompose en pensée. Ce chemin semé de batailles, d'éblouissements et de crocs transcende à la fois l'incompréhensible nuit des violences et le feu de l'enfance.

 

La critique de Mr K : Superbe lecture que celle que je vais vous présenter aujourd’hui. Ce n’est pas vraiment une surprise vu le bonheur procuré par le précédent ouvrage d’Angélique Villeneuve, La Belle lumière, un roman qui m’avait séduit au plus haut point par son propos différencié sur le cas Helen Keller et une langue alliant subtilité et imagination folle. Dans Les Ciels furieux, on retrouve cette maestria narrative et créatrice au service du portrait saisissant d'une petite fille en lutte face aux aléas du destin. C’est aussi sombre que brillant dans l’immersion et l’on ressort de cette lecture émerveillé.

 

Début du XXème siècle, en Europe de l’Est, les populations juives sont souvent regroupées dans des quartiers ou des villages, ils ne doivent pas se mélanger aux autres. L’antisémitisme est quelque chose de courant, répandu dans toutes les civilisations occidentales, il a pignon sur rue et régulièrement, les juifs sont victimes de chasse aux sorcières, de pogroms. Henni a huit ans et habite dans une zone de résidence pour juifs, avec ses parents, sa sœur aînée Zelda et quatre frères dont un plus grand, Lev, avec qui elle ne s’entend pas.

 

Les débuts de l’ouvrage s’attardent sur le fonctionnement de cette famille, son "système" comme l’auteure se plaît à le répéter à plusieurs reprises au cours de l’ouvrage. Le papa travaille beaucoup, se révèle plutôt absent de la maisonnée. Il est cependant pour Henni une source d’amour et d’attention, cela donne de très beaux moments. La maman s’apparente clairement à une poule pondeuse, elle est constamment enceinte ou à donner le sein, elle ne bouge presque pas de la maison et semble se détacher de ses enfants sevrés. Seule sa figure évanescente est présente, elle ne parle pas et n’interagit quasiment pas. Ce sont Zelda et Henni qui font tout, à commencer par s’occuper de leurs petits frères qui deviennent véritablement leurs bébés, lourde responsabilité alors qu’elles ne sont encore que des enfants. La vie est simple et rude, rythmée par les tâches ménagères (cuisine, ménage, couture), l’école et les tracasseries diverses.

 

Tout bascule un soir avec l’irruption de bandits, que l’on devine très vite russes, qui mettent à sac les maisons de la communauté et malmènent les habitants. Tout est vu et vécu à travers les yeux d’Henni, les non-dits sont nombreux et l’on doit se fixer sur son ressenti, ses émotions pour imaginer cette scène de grande violence. Au milieu de tout cela, les plus grands enfants réussissent à s’enfuir à savoir Henni, sa sœur et Lev et ils courent se réfugier dans une briqueterie pas très loin. Choquée, apeurée mais aussi curieuse de savoir ce qui est arrivée à ses jeunes frères et à ses parents, Henni pense, réfléchit, revient sur des moments du passé qui l’ont marqué et va essayer de retourner sur les lieux de cette intrusion violente.

 

L’important une fois de plus n’est pas le but mais le chemin parcouru. Ce roman est avant tout un portrait poignant d’une petite fille comme il peut en exister des millions, une enfant innocente plongée dans un monde terrifiant mais qui aime avant tous les siens et se bat pour tenir bon. L’immersion dans ce jeune esprit est totalement réussi, pas de pathos, de lieux communs. L’esprit de huit ans vagabonde, fait des ricochets sur des souvenirs clefs, tente d’expliciter ce qu’il vit avec ses mots, ses valeurs et repères encore incomplets du fait de son jeune âge. Malgré les obstacles, les doutes, elle est véritablement actrice de son existence, pour la première fois elle est seule. On a très vite le cœur serré, prise en étau par la dure réalité de l’époque et la saison des neiges qui refroidit les ardeurs et les corps. Autour d’Henni navigue toute une série de personnages tutélaires, très finement ciselés qui apportent l’eau au moulin de ce roman initiatique, livrant nombre de vérités universelles et une histoire qui atteindra chacun d’entre nous sans exception tant elle touche juste et fort.

 

Et il y a cette langue véritablement envoûtante, pleine de force, de poésie où émotions multiples se mêlent à des descriptions saisissantes de la nature, des hommes. On se laisse porter par cette poésie en vers libre qui nous emporte vers les rives de l’enfance mais évoque aussi la méchanceté des hommes et le poids des traditions. C’est beau, bouleversant et nous laisse sur les genoux. Un grand coup de cœur pour moi pour un livre à découvrir absolument en cette Rentrée littéraire.

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