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Le Capharnaüm Éclairé
23 août 2023

"MURmur" de Caroline Deyns

L’histoire : J'écris de la prison qu'est mon corps et de la cellule où on l'a enfermé. J'écris d'un pays geôlier et d'une époque à camisole exigeant des femmes qu'elles engendrent et punissent celles qui y faillissent. J'écris pour que nous nous souvenions qu'il n'en a pas toujours été ainsi.

 

Dans le monde de la narratrice, la liberté des femmes à disposer de leur corps n'existe plus, l'interruption volontaire de grossesse est considérée comme un homicide aggravé, avortement et fausse couche confondus.

 

Histoire de femmes en insurrection, de solidarités obstinées, de luttes anciennes à recommencer, MURmur raconte la régression et la répression de ce droit élémentaire, mais aussi le courage d'y résister et la détermination à se révolter.

 

La critique de Mr K : Sacrée expérience que cette lecture coup de poing qui m’a littéralement retourné. MURmur de Caroline Deyns est un véritable bijou langagier au propos profond et ô combien nécessaire en ces temps de poussées réactionnaires aiguës dans notre société.

 

L’ouvrage s’ouvre sur les paroles d’une femme emprisonnée qui livre ses impressions et sentiments profonds. Cinq ans d’incarcération, telle est sa condamnation pour avoir perdu son bébé lors d’une fausse couche... car dans ce roman, la société réduit la femme au rôle de pondeuse et toute interruption de grossesse voulue ou non est punie par la loi. Leur corps ne leur appartient plus et leurs droits naturels sont bafoués par une loi inique qui nie toute possibilité de décider ou non de garder un enfant. Au fil des pages, elle se livre totalement avec une liberté de ton, une fougue qui contraste avec sa situation.

 

Caroline Deyns joue beaucoup sur la typographie dans cette première partie. La disposition des mots, des paragraphes retranscrivent parfaitement l’évocation de l’enfer que traverse la narratrice. L’étroitesse des zones de texte font penser à l’emprisonnement, l’étouffement de la conscience mais non de la combativité et de la détermination féministe qui l’habitent. Les murmures se transforment en cri et guettent la moindre aspérité, espace disponible pour s’exprimer. Les variations formelles font magnifiquement écho à cette femme qui lutte malgré l’emprisonnement, les vexations et la négation de sa nature humaine. Elle revient sur sa détention, l’injustice qui lui est faite à elle et aux femmes de sa condition, ses sentiments mêlés et la mutation mentale qui s’opère en elle au fil des jours qui s’égrainent sous forme d’encoches sur le mur de sa cellule.

 

La deuxième partie change de point de vue. Tout commence par un viol tristement ordinaire. Un garçon, une fille. Le garçon veut, la fille, pas sûre d’elle, ne sait pas dire non ou du moins montrer sa réticence. Elle subit. Quelques semaines plus tard, c’est la stupeur : elle est enceinte et selon les lois en vigueur, elle doit garder le fruit de cette expérience traumatisante. Commence alors pour elle un long et éprouvant combat judiciaire où elle va rencontrer une avocate qui va changer sa vie.

 

Pas de nom là encore seulement des termes qui désignent de façon brute et universelle les personnages principaux. On croise GrandeEnfant, ToutePetiteSoeur, Mère, Garçon, Faiseuse, Intermédiaire, Collègue, MaîtreAvocate... autant de termes qui renvoient à des réalités courantes dans le monde. On pense forcément ici au procès de Bobigny de 1972 avec Gisèle Halimi comme défenseure, il y a énormément de points communs et le déroulé ressemble beaucoup à l’affaire qui a ouvert la voie quelques années plus tard à la légalisation de l’IVG en France. Au plus proche des principaux protagonistes, on vit littéralement cette épreuve subie par GrandeEnfant, le récit prend aux tripes, énonce des vérités simples qui malheureusement aujourd’hui continuent à être remises en cause notamment aux USA et très récemment au Salvador.

 

Écrit dans un style qui détone, fait de phrases courtes et incisives, dans une langue poétique, MURmur est un bijou de militantisme, de féminisme et d'humanisme. Grosse grosse claque pour ma part pour ce titre qui mérite d’être lu, discuté et transmis au plus grand nombre.

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