"Planeta extra" d'Agrimbau et Ippoliti
L’histoire : Dans un futur où la Terre n'est plus qu'une banlieue chaotique pour déshérités, le balèze Kiké et le longiligne Toti, deux pieds nickelés attachants plus rêveurs que déménageurs, ont une livraison délicate à assurer vers la lointaine Lunærope. Pourtant, quand la fille de Kiké lui annonce son départ, celui-ci perd pied. Prêt à tout pour la retenir, il va se lancer dans une mission de tous les dangers...
La critique de Mr K : Une BD de SF d’origine argentine au menu de la chronique du jour au Capharnaüm éclairé avec cet ouvrage reçu lors de la Fête des pères. Planeta extra d’Agrimbau et Ippoliti propose un voyage bien sombre dans un futur inquiétant appréhendé par le prisme d’une famille et plus particulièrement d’un père désespéré à l’idée de perdre sa fille et qui va tout faire pour la garder auprès de lui. La BD se parcourt d’une traite et propose une belle expérience de lecture.
Kiké est déménageur et a comme associé son beau-frère Toti. Très différents physiquement, l’un est une marmule, l’autre est filiforme avec un visage simiesque. Ils partagent un goût pour la rêverie dans un monde futuriste des plus aliénants. La Terre est devenue une décharge à ciel ouvert, les riches qui contrôlent tout quittent le navire, le berceau de l’humanité n’est plus la belle planète bleue qu’elle a pu être. Ils partent vers des colonies spatiales où tout est calme, luxe et confort laissant sur terre tous les déshérités. Les deux comparses eux n’ont que leur camion de déménagement comme richesse et leur famille très unie.
Un jour, le monde bascule pour Kiké, sa grande fille adorée présente son amoureux Pilo avec qui elle compte rejoindre Luna Europa, s’y marier et ouvrir son cabinet de vétérinaire cybernétique (les animaux de compagnie ne sont pas autorisés sur ces mondes neufs). C’est le choc pour Kiké qui sait bien que si elle part, il ne la reverra sans doute plus car lui ne pourra jamais quitter la Terre. Il va tout faire pour la retenir quitte à mettre le doigt dans un engrenage dangereux pour lui et ses proches.
La vision futuriste présentée dans cette BD ne se démarque pas par son originalité mais c’est toujours efficace et glaçant de voir ce que la Terre pourrait devenir si l’on continue dans la logique actuelle de surconsommation. La Nature a inexorablement reculé, la pollution des sols et des mers est totale, la planète est devenue inhabitable. En toute logique, seuls les plus fortunés ont les moyens de partir vers les étoiles, les autres survivent comme ils peuvent. La civilisation est toujours de mise cependant, on n’est pas dans un univers à la Mad Max mais les tensions sont bien là, les rapports tendus donnent lieu ici ou là à des explosions de violence sporadiques et des trafics en tout genre. La description sociale est juste et les détails nombreux.
Mais tout ceci n’est que le background car l’histoire se focalise énormément sur ce que vit Kiké. On pénètre dans l’esprit de ce père malmené par la décision de sa fille. Comme beaucoup, il aurait souhaité qu’elle reste éternellement au côté de lui, ses sentiments sont bien développés sans en faire trop, c’est un gros dur taiseux après tout. La cellule familiale est donc très bien rendue et l’on se prend d’affection pour tous les personnages. La fin quoique logique m’a un peu déçu, finalement la dénonciation tombe un peu à plat et le "happy end" proposé fait retomber l’ensemble comme un soufflé. Dommage, il y avait sans doute possibilité d’aller plus loin, de proposer une œuvre plus jusqu’auboutiste.
Le parti pris esthétique a divisé sur la toile. Pour ma part, j’ai adoré ces dessins un peu exagérés dans les traits, fortement colorés avec une réminiscence du rouge sous toutes ses formes dans quasiment toutes les cases, le rythme imprimé aux planches, les décors grandioses qui m’ont fait penser pour certains au Cinquième élément de Luc Besson. On passe donc un bon moment même si ce n’est pas inoubliable. Les amateurs peuvent se laisser tenter.