"Le Serpent du rêve" édition intégrale de Vonda N. McIntyre

L’histoire : Serpent, la jeune guérisseuse, a traversé le désert pour soigner un enfant du clan d'Arevin. Elle est fière du nom qu'elle a reçu car dans le pays qui est le sien, le serpent est plus que le symbole de la médecine, son venin peut guérir ou protéger. Et jamais elle ne se sépare de Brume le cobra, de Sable le crotale et de Sève, un serpent du rêve, espèce rare dont la piqûre sait adoucir les fins inéluctables.

Aussi, lorsqu'un instant de négligence de sa part provoque la mort de Sève, la guérisseuse se sent-elle coupable et humiliée. Prête à tout pour reconquérir seule un autre serpent du rêve, elle part pour un dangereux voyage vers l'Outreciel.

Cependant, Arevin, qui s'est épris d'elle, se promet de la rejoindre un jour...

La critique de Mr K : Chronique d’une très belle découverte aujourd’hui avec mon retour de lecture sur l’intégrale de Vonda N. McIntyre autour du Monde de la Sphère, un ouvrage bien touffu qui contient deux romans, une nouvelle inédite et une postface paru au mois de mai aux éditions Mnémos. L’ensemble procure un plaisir de lecture sans borne avec une écriture simple et poétique, des univers au background impressionnant et des personnages très charismatiques. On passe vraiment un excellent moment.

Dans Loué soit l’exil paru en version originale en 1975, on suit Mischa, une jeune fille au caractère bien trempé, douée pour les maths et télépathe à ses heures perdues. Elle vit dans la bordure de la galaxie, à Centre, une cité où l’inégalité est la règle. Nul espoir d’ascension sociale n'est possible et c'est la condamnation à vie de travailler pour les mêmes familles riches qui détiennent les secteurs clef du système (énergie, nourriture, industrie…). Mais Mischa avec sa rage de vivre n’a qu’une envie :  s’en aller! Sauver son frère Chris bien malade, sortir des griffes de leur oncle qui les exploite et conquérir sa liberté loin de ce monde où toute aspiration semble vaine. Long sera le chemin, vous l’imaginez, avant que la situation se débloque et encore... À noter que la nouvelle inédite Cages, présente en fin de volume, se concentre en une dizaine de pages sur les origines des deux envahisseurs jumeaux qui font partie des éléments clefs de ce roman.

Le Serpent du rêve se déroule lui sur Terre mais une Terre qui n’a plus grand-chose à voir avec ce que l’on connaît. Une guerre (que l’on devine nucléaire) a ravagé sa surface, ne laissant que des ruines et des groupuscules humains se sont reconstitués dans un monde où le dénuement le plus profond côtoie les hautes technologies. L’héroïne, Serpent, est une guérisseuse, membre d’une caste de médecins d’un ordre nouveau qui se servent de serpents dits "du rêve" pour soigner les affligés. Serpent est partie de la communauté depuis déjà un petit temps et voyage dans le seul but d’exercer et de perfectionner son art. Tout va être remis en question lorsque l’un de ses serpents va être tué par un villageois apeuré par la bête. La voila condamnée à l’exil tant qu’elle n’aura pas récupéré un serpent de rêve pour remplacer celui qu’elle a perdu.

Au cœur des deux récits, on retrouve deux figures féminines fortes. C’est clairement la marque de fabrique de l’auteure qui propose des portraits inspirants et touchants, qui se livrent sans compter, se confrontent à des mondes fermés où rien n’est jamais acquis si l’on n’est pas né du bon côté. Il y a un aspect initiatique prégnant dans ces deux romans où l’on assiste à de nombreux rites de passage, des moments clefs dans une existence : l’entrée dans l’âge adulte, l’éveil à la sexualité, la maternité (superbe lien tissé entre Serpent et Mélissa), la révolte face à l’injustice... Le rythme lent favorise l’introspection, les détails multiples sur les pensées et émotions des personnages donnant une dimension profondément sensible aux personnages. On éprouve une énorme empathie à leur endroit, y compris pour ceux qui sont le moins recommandables, leurs caractérisations sont toujours fines et nuancées, cela apporte beaucoup à la lecture qui se déroule sans effort et avec un plaisir total.

Le voyage n’est pas qu’intérieur, l’auteure nous offre une fenêtre sur d’autres mondes, d’autres mentalités qui se sont forgées dans les épreuves. La rudesse ambiante, l’aspect dystopique, les vies sacrifiées projettent un futur bien sombre mais teinté d’espoir par certains de ses personnages. Les descriptions sont de toute beauté, on baigne littéralement dans ces espaces très contrastés entre quartiers populaires, palais dorés, paysages dévastés et oasis minérales et végétales. L’évasion est totale, l’écrin est superbe pour porter les trames narratives riches en rebondissements et qui captent irrémédiablement le lecteur qui ne peut sortir de cette toile d’araignée tissée par une reine dans son domaine.

L’écriture mêle rythme langoureux et accélérations brusques, poésie des mots, passages de hard science et expériences parfois quasi chamaniques. C’est riche, dense et surtout très digeste, à aucun moment le lecteur ne se retrouve en difficulté ou perdu. L’auteure s’y connaît pour nous accompagner, nous tenir la main sans pour autant nous emprisonner dans le simplisme ou le déjà-lu. La postface en rajoute une couche avec une belle analyse de l’œuvre et de la portée du travail de Vonda N. McIntyre notamment en terme de féminisme. C’est le petit bonus qui clôture parfaitement le volume.

C’est beau, puissant, porteur de sens et totalement addictif. Une belle intégrale que je vous conseille de découvrir à votre tour tant elle m’a fait grande impression.