"Karma City" Intégrale de Pierre-Yves Gabrion
L’histoire : Karma City : une ville vertueuse régie par les lois universelles du karma, où l'intérêt général primerait toujours sur l'intérêt particulier. Dans une société dirigée par le concept de karma, Emma List se présente aux portes de la "zone blanche" de la capitale. Autorisée à entrer malgré un karma un peu négatif, elle fait un AVC quelques minutes plus tard et s'écrase avec son véhicule. Ce qui ne semblait être qu'un rapport de routine pour les agents Cooper, Napoli et Asuki va pourtant se transformer en enquête de vaste envergure. Car Emma, chercheuse en paléontologie, s'était installée en zone grise à la recherche d'un mandala gravé, témoignage de l'existence de sociétés pré-karmiques. Or fouiller ces dangereux sables mouvants exploités par les industriels n'est pas sans danger...
La critique de Mr K : Cette lecture est un véritable coup de poker. J’ai emprunté ce diptyque à la médiathèque du secteur sur un coup de tête, seulement guidé par l’intuition et un pitch accrocheur. Que j’ai bien fait ! Karma city de Pierre-Yves Gabrion est un petit bijou qui mêle habilement intrigue policière et background SF de haute volée, le tout conjugué avec une profondeur philosophique confondante et un style inimitable. Belle découverte dont je vais vous parler plus amplement dans les lignes qui suivent.
Tout juste sortie de l’école comme major, Kate Cooper intègre la brigade d’investigation de Karma City et va devoir faire équipe avec deux vieux briscards : le malicieux et amateur de technologie Asuka et l’ombrageux Napoli, un vieux de la vieille aux méthodes pas très académiques. Elle n’a pas le temps de s’installer qu’on lui confie déjà une enquête qui va changer sa vie à jamais car derrière la mort d’une simple paléontologue se cache une vérité que beaucoup souhaitent maintenir cachée car elle pourrait bien faire s’écrouler le bel édifice de Karma City.
La trame est assez classique au départ. Une jeune pousse fraîche émoulue de l’école, pétrie d’idéaux sociétaux va devoir, au contact de ses deux coéquipiers et au fil de l’intrigue, revoir ses préjugés. L’alchimie fonctionne à plein avec les protagonistes qui se complètent bien entre le farfelu doué et décalé, l’ancien taciturne source de sagesse et la jeunesse idéaliste. Cela donne de bons échanges entre autodérision, tensions et révélations. L’enquête se révèle tortueuse, le pseudo accident met en cause des personnes haut placées et dans le deuxième volume l’enquête se mue quasiment en révolution et en quête initiatique avec un récit qui part loin, très loin dans des sphères insoupçonnées, l’auteur n’hésitant pas à déconstruire tout ce qu’il a posé comme jalons jusque là.
Le background en lui-même est très bien construit. Rien que le concept de départ de cette cité parfaite est original. Tout est basé sur le karma comptabilisé sur une montre. Cela donne des droits, entraîne parfois des punitions. Le collectif devant primer sur l’individuel, quatre lois primordiales encadrent les actes de chacun et forgent une pensée commune. L’enquête mettra à jour des malversations, des trafics en tout genre et finalement une hypocrisie sur laquelle est bâtie cette utopie. Bataille de factions pour le pouvoir, IA en roue libre, crise de foi de l’héroïne vont entraîner le lecteur vers un dernier acte plus que chaotique et une conclusion sans appel.
On prend un plaisir intense à lire cet ouvrage. Bien ficelée, rythmée à souhait, métaphysique par ce qu’elle induit, on aime se perdre dans Karma City et en découvrir l’envers du décor. Bien que classique (certains passages vous feront forcément penser à des classiques de la dystopie), on ne s’ennuie pas une seconde, on se pose énormément de questions existentielles et l’on en prend plein les mirettes avec des planches de toute beauté avec des couleurs bien pêchues et un trait séduisant au possible. Un diptyque vraiment puissant et addictif, les amateurs peuvent foncer, c’est de la SF de qualité !