Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le Capharnaüm Éclairé
Publicité
5 juin 2023

"Cher connard" de Virginie Despentes

cher-connard

L’histoire : Cher connard,
J’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve : je t’écris.

La critique de Mr K : Lire un Virginie Despentes est toujours un moment particulier dans ma vie de lecteur. J'adore cette auteure, sa langue, sa gouaille, son franc-parler et sa manière d'aborder certaines thématiques lourdes et difficiles de manière totalement inversée ou du moins différente du mode de pensée ambiant. Dans Cher connard, elle change de forme littéraire et sous l'aspect d'un échange épistolaire, deux personnages se heurtent, discutent, apprennent à se connaître et finalement passent au crible notre époque.

Oscar est un écrivain polytoxico engoncé dans sa solitude. Un jour de désœuvrement, il poste sur son réseau social un commentaire désobligeant pour ne pas dire insultant sur Rebecca, une actrice trash en pleine crise professionnelle et personnelle. La dame a du retour, lui répond vertement et s'en suit le début d'une correspondance entre deux personnes qui n'étaient pas forcément faites pour s'entendre. Au fil des messages, un lien se noue, au début ténu puis qui se développe, faisant le lien entre un passé commun, des expériences similaires ou approchantes et au final un certain mal de vivre.

Ce roman épistolaire est avant tout une excuse pour Virginie Despentes. À travers ces deux personnages haut en couleur, elle nous parle de nous, de l'évolution de la société, des mœurs, de nos pratiques. Évidemment ce n'est pas tendre, le miroir présenté met bien en avant les travers de notre époque avec ici plus particulièrement un focus sur les réseaux sociaux et l'aspect néfaste qu'ils peuvent revêtir à l'occasion avec ici tout particulièrement l'exemple du harcèlement d'une jeune femme qui a libéré sa parole dans le sillage du mouvement #Meetoo. Vous l'imaginez bien l'œuvre tourne beaucoup autour de la question du rapport entre les hommes et les femmes, rapports conflictuels mais pas que. Ainsi dans cet ouvrage Oscar et Rebecca vont voir leur relation profondément changer sans pour autant se rencontrer IRL. Avec ce lien de l'écriture ils vont creuser quelque part, effectuer une sorte d'expérience quasi psychanalytique, beaucoup changer, évoluer.

Pêle-mêle dans ce roman, Virginie Despentes revient aussi sur le confinement, la politique de santé suivie par le gouvernement, la montée de son autoritarisme, la psychose liée au Covid, les questions d'éducation, de la famille, de l'école, de l'équilibre précaire de beaucoup de personnes dans cette période difficile... On retrouve tout le talent de l'auteure pour brosser des portraits réalistes, sans fioritures, sans pathos, ni exagération. C'est la vraie vie et rien d'autre. Elle revient aussi assez longuement sur le féminicide, avec une théorie fort juste sur l'idée que finalement c'est accepté dans la société contrairement à d'autres crimes qui choquent davantage l'opinion. Ces passages sont iconoclastes mais m’ont profondément marqués. On touche une vérité qui dérange et une fois de plus Despentes met le doigt sur nos consciences bien trop bourgeoises parfois. Elle règle d'ailleurs aussi ses comptes au passage avec le féminisme bobo bien pensant mais bien souvent décalé de la réalité. Là encore la démonstration est impeccable.

Enfin c'est un très bel ouvrage sur l'addiction au sens large, l'addiction dans tous ses aspects, ses exigences, ses obligations et l'immense difficulté à en sortir. Nos deux personnages sont à un moment clé de leur vie où ils doivent choisir entre continuer sur la voie de l'autodestruction ou essayer de s'en sortir. Vous vous doutez qu'ils vont essayer de s'en sortir au contact l'un l'autre et au rythme de leur écriture. Le processus est superbement illustré, l'immersion totale, on ressent la souffrance, les doutes, les espoirs ainsi que l'impact que cela a sur leur vie, leur rapport avec les autres ou avec leur famille. J'ai lu ici ou là que certaines personnes ne se sentaient pas concernées par le propos, je pense que c'est se voiler la face car derrière ces addictions aux drogues dures (alcool, héroïne, crack…), on retrouve les mêmes symptômes que quelqu'un qui est dépendant aux écrans, au sexe ou à tout produit qui rend accro. Despentes touche juste, là où ça fait mal et encore une fois c'est effroyablement efficace.

J'ai lu Cher connard sans pouvoir m'arrêter tant j'ai été pris par le souffle, la portée des propos et la personnalité des deux protagonistes principaux. Bien qu'il soit sombre, cet ouvrage n'est pas exempt d'une certaine lumière. Certes l'époque est morose, les questions nombreuses ainsi que les dangers qui nous guettent mais Virginie Despentes ne se contente pas de ça, elle introduit ici ou là des éléments d'optimisme, des petites lumières qui illuminent l'existence et nous permettent d'avancer. L'écriture est toujours aussi belle, rythmée, poignante peut-être un petit peu moins trash mais toujours aussi jubilatoire et éclairante. Un bien beau roman que je vous invite à lire au plus vite.

Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Les chiennes savantes
- Les jolies choses
- King Kong theorie
- Apocalypse bébé
- Bye-bye Blondie
- Baise-moi
- Vernon Subutex

Publicité
Commentaires
Publicité
Suivez-moi
Publicité
Archives
Publicité
Publicité