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Le Capharnaüm Éclairé
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26 mai 2023

"Sauvages" de Nathalie Bernard

L’histoire : Jonas vient d'avoir 16 ans, ce qui signifie qu'il n'a plus que deux mois à tenir avant de retrouver sa liberté. Deux mois, soixante jours, mille quatre cent quarante heures. D'ici là, surtout, ne pas craquer. Continuer d'être exactement ce qu'ils lui demandent d'être. Un simple numéro, obéissant, productif et discipliné. En un mot, leur faire croire qu'ils sont parvenus à accomplir leur mission : tuer l'Indien dans l'enfant qu'il était en arrivant dans ce lieu de malheur, six années plus tôt.

 

La critique de Mr K : Belle claque que cet ouvrage qui m’a été conseillé par la professeur documentaliste de mon établissement. Sauvages de Nathalie Bernard traite d’un sujet hautement douloureux de l’histoire récente du Canada : l’acculturation des jeunes autochtones dans des pensions ressemblant à s’y méprendre à des camps de travail. En 2021-2022 des milliers de tombes anonymes de jeunes amérindiens avaient été découvertes provoquant l’effroi chez nombre d’entre nous. L’auteure nous propose de nous immerger dans cet univers concentrationnaire et de suivre le parcours de Jonas qui ne veut pas être un numéro et veut reconquérir sa liberté. Un voyage aussi brillant que glaçant.

 

Comme tous ses camarades du camp, Jonas n’est plus qu’un numéro. Il ne s’appelle pas Jonas d’ailleurs, son nom a été christianisé. Le but est simple, il faut tuer l’indien qui est en lui, briser ses liens avec son identité d’origine, lui interdire de parler sa langue, de pratiquer ses rites. Les journées s’apparentent à une routine infernale entre prière envers un Dieu soit disant miséricordieux, travail éreintant, cours propagandistes et repas insipides, le tout sous l’autorité drastique de sœurs et de frères dont la froideur n’a d’égal que la cruauté. L’espoir est bien mince voire inexistant pour ces enfants arrachés à leur famille, perdus au milieu de nulle part, dans une forêt glacée inhospitalière où les dangers sont nombreux à commencer par les chasseurs du crû d’une bêtise et d’une sauvagerie inouïe.

 

Dans la première partie du récit, Jonas nous raconte ses journées placées sous le sceau d’un compte à rebours devant le mener à sa "libération" (jour de ses seize ans). Le garçon est immédiatement attachant, il fait le dos rond mais intérieurement il bout. Révolté mais prudent, il attend patiemment son heure. Il faut dire que des choses étranges arrivent dans ce camp. Des jeunes disparaissent, d’autres subissent des mauvais traitements et les tombes s’accumulent dans la cour. La vie est difficile, les rapports biaisés par le système mis en place entre les jeunes prisonniers. On se méfie de tous, on pèse ses mots et parfois on se prend à se rapprocher, à partager, à se serrer les coudes mais gare à la chute... Les sentiments exacerbés, les convoitises, jalousies et faux semblants mènent une valse bien funèbre avec en milieu de volume un événement qui va précipiter la trame vers une fuite et une chasse à l’homme impitoyable.

 

La complexité des émotions et sentiments humains sont remarquablement traités dans cet ouvrage. On n’est jamais dans la surenchère, la facilité, le pathos. Jonas nous touche par sa justesse, son courage, son amour de la liberté. On croise présent et passé avec des scènes de flash-back touchantes au possible, sur sa vie d’avant, si proche et si lointaine à la fois. Une famille perdue, une amie chère, des instants de bonheur fugace brisés par cette incarcération inique et destructrice. Quand on pense que ça a pu exister jusqu’à encore très récemment (fin du XXème siècle)...

 

Pour contrebalancer l’horreur, il y a les rêves éveillés d’échappatoire et il y a surtout la Nature. Magnifiée, décrite dans toute sa beauté, son aspect sauvage, elle est omniprésente dans ce lieu reculé et dans le cœur de Jonas. On ressent les odeurs, le froid, la pureté de ces lieux magiques et parfois effrayants. Un torrent glacé, des arbres à perte de vue, des animaux invisibles dont on devine la présence… autant d’éléments qui densifient le récit, lui donnent une touche unique et contribuent à un climax des plus immersifs.

 

L’écriture est un petit bijou. Cette fausse simplicité qui rend l’ensemble accessible cache des trésors de finesse et explore à merveille la psyché des personnages tout en décrivant les charmes profonds de la nature environnante. On se laisse prendre par le récit qui nous porte, nous accompagne et nous émeut au plus profond. Qu’il est bon d’être ainsi transportés et enrichis ! Un pur bonheur de lecture que je vous invite à découvrir au plus vite et ceci quel que soit votre âge. Vous n’en sortirez pas indemne et il vous marquera pour longtemps.

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Commentaires
M
J'ai lu ce roman il y a quelques années et je l'avais beaucoup aimé ! Il m'a choqué, il m'a bouleversé aussi ! Un livre à lire absolument !
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I
Ces pensionnats révèlent une réalité révoltante... j'ai lu récemment sur le même thème Jeu Blanc de Richard Wagamese, qui m'a littéralement prise aux tripes.<br /> <br /> Est-ce que tu me permets par ailleurs de récupérer ton lien pour l'ajouter au récapitulatif de l'activité que j'anime de décembre 02022 à décembre 2023, consistant à "Lire (sur) les minorités ethniques" (et sais-tu à quelle tribu appartient le héros de ce titre) ? <br /> <br /> https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-les-minorites-ethniques-le.html
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