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Le Capharnaüm Éclairé
3 mars 2023

"Les dangers de fumer au lit" de Mariana Enriquez

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Le contenu : Peuplées d’adolescentes rebelles, d’étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l’horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d’une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l’âme humaine, explorant de son écriture à l’extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.

La critique de Mr K : Très très belle découverte que cette lecture d’un recueil servi très noir par Mariana Enriquez, une auteure argentine que je découvrais par la même occasion. Dans Les dangers de fumer au lit, elle nous offre dans un style fascinant, un panel étendu des vicissitudes humaines et le pire c’est qu’on en redemande ! Ces douze histoires se lisent quasiment d’une traite si l’occasion se présente. Perso, j’ai été aidé pour l’occasion par ma copine Gastro qui m’a cloué au lit durant une partie des vacances, j’étais donc dans un parfait état pour pouvoir me délecter de ses histoires horribles et édifiantes à la fois !

On peut dire qu’on en croise des personnalités interlopes dans ce recueil. Principalement féminins, les protagonistes principaux ont tous une fêlure, quelque chose qui déraille à plus ou moins grande échelle. Rajoutez une once de pression sociale, culturelle voire fantastique, et les éléments peuvent se déchaîner, nous amenant bien souvent vers des territoires malaisants, inconnus du commun des mortels. Chacune de ces histoires raconte un peu à sa manière la violence de nos sociétés capitalistes dominées par les hommes bien souvent au détriment des femmes, c’est aussi à l’occasion un petit focus sur la société argentine pas encore totalement remise de la dictature qui a ensanglanté le pays de 1976 à 1983.

Chaque histoire va donc explorer les aspects les plus sombres de l’âme humaine, parfois côtoyer la folie pure et le fantastique le plus frontal entre malédictions, sorcellerie, revenants, hystérie collective, rancunes tenaces et désirs qui nous consument. Ici on subit la violence mais on la donne aussi, quelque soit son âge avec bien souvent une fulgurance terrible liée à la brièveté de la plupart des textes et la langue inventive et incisive déployée.

Une fillette fantôme enterrée dans un jardin qui pleure quand il pleut, un groupe de copines jalouses mu par une tension sexuelle qui va leur faire commettre l’irréparable, un SDF chassé d’un quartier qui semble à l’origine d’une malédiction qui plonge les lieux dans la misère, une petite fille peureuse qui se rappelle d’une séance de guérison familiale chez une sorcière, une femme rend visite à une copine à Barcelone et va sentir la présence de fantômes d’enfants disparus tragiquement, une femme obsédée sexuellement par les battements de cœur, une star du rock récemment disparue qui exerce toujours autant d’attrait sur ses groupies hardcore, des enfants morts qui reviennent dans leurs familles et les rendent folles, un hôtel qui recèle un étrange mirador faisant le lien avec un passé profondément enterré, un homme réalise des vidéos interlopes sur la demande de ses clients, une femme mélancolique glande au lit en fumant ou encore une bande de jeunes qui s’adonnent au Ouija... autant de situations que l’on se plaît à suivre entre curiosité, dégoût, appréhension et, je l’avoue, parfois un certain sadisme.

L’expérience dans son genre est assez radicale, on rentre vraiment dans l’intimité des personnages, leur chair, leur esprit, leurs croyances et leurs errances. Les tabous volent, l’indicible explose et nous livre des histoires au souffle envoûtant, puissant, profondément dérangeant par moment. Il n’est pas rare de reprendre son souffle à la fin d’un texte qui n’apporte d’ailleurs pas forcément de réponse possible mais nous laisse pantelant après une apogée de révélations ou de violence. La langue concise, précise caractérise à merveille ces êtres humains livrés à leurs démons tout en ne sacrifiant jamais la poésie qui la caractérise, une poésie sombre, profondément romantique dans la définition originelle du terme. On explore ici les passions, elles dévorent, elles consument et il reste peu de place pour le reste...

Vous l’avez compris, on touche ici au sublime dans un genre macabre mais en même temps très révélateur de notre nature profonde. Une sacrée expérience que je vous invite à tenter à votre tour si vous êtes amateur. On fait difficilement mieux.

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Commentaires
M
J'ai envie de tout lire de cette auteure ! Ta chronique donne encore plus envie ! Je l'ai déjà noté... Vivement que je le lise !
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