"Fille" de Camille Laurens
/image%2F0404534%2F20240922%2Fob_d7c74d_fille.jpg)
L'histoire :
FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.
Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen. "Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles", répond-il. Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?
La critique Nelfesque : J'ai une fille. Depuis 2 ans et demi, j'ai une fille. La place de la femme dans la société et la représentation de ce qu'est d'être une fille tous les jours, depuis l'enfance, sont des questions sur lesquelles j'ai toujours été sensible. Malgré les moeurs qui changent, les mentalités qui évoluent, les lignes qui bougent, ce sujet est toujours central... C'est pour cette raison que j'ai eu très envie de découvrir "Fille" de Camille Laurens.
Fin des années 50, très tôt Laurence comprends, à travers le langage et l'éducation de ses parents que la position des filles est inférieure à celle des garçons. Cette expérience se prolonge à l'école, au cours de danse, à la bibliothèque, partout où le langage impose la dominante du genre masculin.
Camille Laurens nous raconte ici toutes les femmes, des "filles" qui comme Laurence sont rabaissées à le rester par le poids des mots, le choix des tournures de phrase, les habitudes de langage. Ces femmes qui désirent ardemment se relever, dresser la tête et avancer fièrement malgré la société patriarcale, les convenances, les règles érigées par les hommes et les religions. Des vies réduites à peau de chagrin, aux miettes qu'on veut bien leur laisser et encore si elles se montrent reconnaissantes, arborent un joli sourire, "mouche ton nez, dis merci au monsieur". Il y a beaucoup de finesse dans ces pages mais aussi beaucoup de violence. Suivre cette femme de son enfance à son parcours de mère, avec ses claques en pleine figure, ses difficultés, ses réussites, ses soubresauts, ses tâtonnements, c'est un peu voir coucher sur papier nos propres vies de filles, de femmes. Avec toute la souffrance que cela implique. Laurence est notre mère, notre grand-mère, notre tante, notre sœur, nous-même. Nous sommes toutes la fille de quelqu'un, quelque soit notre histoire, quelque soit notre parcours. Il y a un bout de nous toutes dans ce roman.
Le jour où Laurence devient mère à son tour, elle espère un garçon. Pour éviter à un autre être qu'elle-même d'endurer tout ce cirque. C'est pourtant à une fille qu'elle va donner naissance, Alice. Un garçon "manqué" (encore une vilaine expression) que Laurence tente de canaliser, de dresser en "fille". Elle veut lui mettre des robes, faire pousser ses cheveux, lui offrir des poupées. Alice préfère les pantalons, n'aime ni les cheveux longs ni les poupées. Ressembler à un garçon, voilà ce qu'elle veut. Pouvoir être elle-même surtout. Laurence va apprendre avec elle à déconstruire son éducation, à enterrer son père misogyne et dévastateur, à se questionner sur ce qui est essentiel dans la vie. Quand la mère apprend de son enfant sur sa propre identité de femme, cela donne des passages d'une force incroyable.
Voici la vie d'une femme, confrontée à la mutation de la société française de ces 40 dernières années. Ni plus ni moins et pourtant tout. Un superbe roman servi par une écriture incroyable. Chaque jour qui passe façonne l'adulte que sera notre enfant demain. "Fille" met cela en lumière, nous fait sauter au visage l'importance et le poids de cette tâche. On ressort totalement chamboulé de cette lecture. Le genre de lecture qu'il faut prêter, transmettre, offrir. Pour que le message circule, que les mentalités évoluent, que le combat continue d'être mené. Inlassablement.