"Voici l'homme" de Michaël Moorcock
L’histoire : Il s'appelait Karl Glogauer.
Il avait remonté le temps, du milieu du XXe siècle jusqu'en l'an 28, pour chercher le Christ et assister à sa crucifixion. Maintenant qu'il se trouvait sur la Terre Promise, il venait de rencontrer Jean-Baptiste, le prophète, et déjà il lui parlait de celui qu'il désirait voir et dont l'image le hantait depuis toujours bien qu'il fût incroyant.
Mais Jean le Baptiste le regardait, un rien stupéfait. Comme si l'on avait à l'instant prononcé le nom de Jésus de Nazareth pour la première fois devant lui...
La critique de Mr K : Que j’aime cet auteur ! Qu’il touche à la science-fiction ou à la fantasy c’est toujours carton plein. Une imagination débordante, un style qui dépote, un ton décalé qui fait mouche et surtout aucun filtre, une dimension de son talent qui prend tout son sens ici. Dans Voici l’homme, Michaël Moorcock propose une variation autour du voyage temporel et s’attaque à la figure de Jésus-Christ ni plus ni moins. C’est brillant, source d’un grand plaisir de lecture et l’on ressort à nouveau ébloui par cet auteur décidément très talentueux.
Karl débarque en plein premier siècle de notre ère avec une idée fixe : assister à la crucifixion de Jésus. Ce psychologue de formation, à la vie mouvementée, part rencontrer Jean le Baptiste et quand il lui pose des questions sur Jésus, celui-ci lui demande de qui il peut bien parler ! Quel choc pour notre héros ! C’est le début d’un autre voyage, un voyage initiatique sur les traces du Sauveur mais aussi une quête de soi qui va mener vers un dénouement absolument génial !
Cet ouvrage livre tout d’abord un portrait très poussé de notre voyageur temporel. Via la technique répétée du flashback, Moorcock revient sur l’enfance, l’adolescence, les premières expériences, son métier de psychologue, ses rencontres. Cela occupe quasiment la moitié du livre. C’est bienvenue car ces passages mettent en perspective le récit, éclaire le lecteur sur les motivations profondes de Karl et proposent des réflexions métaphysiques. Son parcours tortueux est très parlant, on sort clairement de l’archétype de l’explorateur solide et déterminé, à l’épreuve de tout et surtout de lui-même. Perfectible, dans le doute voire dans des états seconds, Karl par son humanité relance tout un mythe et va quelque peu bouleverser les choses -sic-.
Un peu à la manière d’un Scorsese dans son film La dernière tentation du Christ (très bon film) ou encore le génial L’Agneau de Christopher Moore, cet ouvrage heurtera les fondamentalistes et les tenants de la doctrine officielle de l’Église. La nature du Christ, la personnalité de ses parents "terrestres", la crudité de certains propos tranchent et apportent une tonalité toute particulière à l’ouvrage. Cet aspect uchronique avec en plus des références à l’effet papillon brouillent les pistes, désacralisent un mythe tout en le rendant humain, plus proche de nous, plus palpable.
Le voyage dans le temps bien que présent est finalement assez secondaire, la trame se concentrant essentiellement sur le parcours du héros dont le voyage ne se passe pas vraiment comme prévu, la petite histoire rencontre la grande à bien des occasions. Chancelant très vite, se posant nombre de questions existentielles, les certitudes de Karl sont vraiment mises à mal et l’on devine au 2/3 de l’ouvrage ce qu’il va advenir de lui. C’est brillamment construit, très progressif et la fin nous laisse sur les genoux (dans le bon sens du terme).
Dès les premiers chapitres, l’auteur nous met le grappin dessus avec son sens de la mise en scène, de la caractérisation rapide. L’ouvrage ne s’embarrasse pas de longues descriptions, Moorcock va ici à l’essentiel. Il plante sa situation, présente ses protagonistes avec concision et un sens de l’économie de mots qui permet à la trame de décoller assez vite. La variation des époques, les liens entre passé / présent / futur rajoutent à l’ensemble une haute teneur et offrent un récit vraiment addictif, titillant la curiosité du lecteur qui construit ses hypothèses comme il peut (et avec délectation).
On passe donc un excellent moment avec cette lecture à la fois fraîche (malgré une parution déjà ancienne, 1977), éprouvante parfois (le parcours intime du héros) et source de nombreuses réflexions. Moorcock frappe encore et conjugue toujours écriture limpide et fabuleuse imagination. Un voyage à nul autre pareil que je vous invite fortement à entreprendre à votre tour.