"L'autre femme" de Mercedes Rosende
L’histoire : Quadragénaire solitaire et obèse, Úrsula López vit dans le vieux centre de Montevideo. Un soir, un appel téléphonique d’un certain Germán lui réclame une rançon pour libérer... son mari.
Découvrant son homonymie avec l’épouse d'un riche homme d’affaires enlevé, Úrsula exige alors une rançon plus importante de celle-ci, qui à son tour surenchérit et lui propose de la débarrasser définitivement de son époux. Dès lors, cette célibataire insatisfaite de sa vie, affamée depuis l’enfance par des régimes inopérants, se met à tirer les ficelles et manipuler tout son monde avec un plaisir machiavélique.
La critique de Mr K : Invitation en noire aujourd’hui avec ce roman uruguayen qui dépote et sort clairement des sentiers battus. Dans L’autre femme, Mercedes Rosende nous offre une lecture totalement imprévisible, un personnage principal atypique et mémorable. Une très belle réussite dont je vais vous parler plus amplement.
L’ouvrage débute dans une cabine d’essayage d’une boutique de prêt à porter où l’on fait la connaissance d’Ursula, une traductrice urugayenne à la taille XXL. Solitaire, elle vit dans son appartement au rythme des régimes qu’elle s’impose et qui l’épuisent sans vraiment la faire maigrir. La première partie du roman se consacre beaucoup à sa caractérisation, ses pensées intimes et ses rencontres avec sa famille, ses journées de boulot pour des talk show décérébrés où elle joue un rôle dans le public entre deux traductions littéraires qu’elle laisse traîner au grand dam de sa patronne. Volontiers cynique par moment, le personnage est lucide, drôle et à la fois mélancolique. On l’aime immédiatement et la suite ne fera que confirmer cette première impression.
Très vite, en parallèle de ses pérégrinations, quelques chapitres mettent en scène l’enlèvement d’un homme. On se rend vite compte qu’il a été kidnappé par une équipe de bras cassés, en témoigne des dialogues quasi surréalistes entre la victime et ses gardiens. On rit beaucoup malgré le tragique de la situation. Les deux histoires se rejoignent lorsque les ravisseurs appellent Ursula par erreur, la prenant pour la femme de la victime et lui réclamant une rançon exorbitante. Loin de se laisser décontenancer, cette dernière va se muer en une "autre femme", se lancer dans une manipulation de haut vol et totalement bouleverser la donne. L’histoire prend alors une toute autre tournure qui ne pourra que vous surprendre.
L'autre femme se lit vraiment tout seul grâce tout d’abord à un style direct et flamboyant, chaque page réservant son lot de surprises, de circonvolutions tordues et de personnages aux motivations pour le moins étranges. Scène de frottis vaginal éprouvant pour l’héroïne avec un médecin froid et distant (ma scène favorite), barbecue de famille où flottent les méduses (un vrai bal de faux culs), souvenirs d’enfance révélant les failles d’Ursula, dialogues à bâtons rompus entre une victime et un kidnappeur aux petits soins totalement dépassé par ce qui se passe, négociations hasardeuses où les rapports de force sont changeants et plein d’autres situations / scènes font de ce roman un ensemble délirant mais profondément humain avec au centre une femme que tout pourrait mettre à terre mais qui se rebiffe, lutte à sa manière (contre elle-même, beaucoup) et finit par se révéler à elle-même.
C’est noir, très noir même. L’humour pince sans rire, la vie humaine qui semble constamment au bord de la falaise dans une Uruguay plus vraie que nature avec de belles tranches de vie populaire sont au rendez-vous d’un roman à la saveur épicée et à haut concentré littéraire. Le portrait d’Ursula est édifiant entre duplicité, subjectivité et construction / (re)construction de soi. Un pur bonheur, une balle en plein cœur, une expérience unique que je ne peux que vous conseiller.