"Monstres" de Barry Windsor-Smith
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L’histoire : Windsor Smith fait remonter la personnalité complexe de ce monstre iconique à une enfance maltraitée, doublée d'expérimentations scientifiques menées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à partir d'essais scientifiques nazis. Autrement dit : comment la société américaine des années 1950 a engendré un monstre à partir d'autres monstres.
La critique de Mr K: Belle claque encore que ce prêt de l’ami Franck. Monstres de Barry Windsor-Smith est un comics noir et blanc à la fois sublime dans sa forme que profond dans son propos. Via une histoire se rapprochant du mythe de Frankenstein, l’auteur nous offre un portrait touchant et une critique féroce de la société américaine de l’époque. Passionnant et édifiant à la fois !
1964, Bobby jeune américain qui étouffe dans le carcan familial (et notamment sous la houlette d’un père plus qu’autoritaire) se rend dans un bureau de recrutement de l’armée américaine. Perturbé, naïf et prêt à tout pour changer de vie, il se retrouve bien malgré lui dans un programme expérimental secret du gouvernement américain qui poursuit des recherches génétiques entamées par les nazis juste avant la fin du conflit. Transformé en monstre repoussant, destiné à être une arme au service de l’Amérique, il finira par s’échapper dans la nature et tentera de rejoindre les lieux de son enfance car au fond de lui, il reste l’être esseulé et malheureux qu’il a toujours été.
Il est donc question de monstres dans cet ouvrage mais les pires ne sont évidemment pas ceux que l’on remarque le plus. Pourtant, il a de quoi faire flipper le néo Bobby, montagne de muscles muette qui semble incontrôlable. Mais derrière cette brute épaisse, se cache un être dépossédé de lui-même, perdu et victime de l’arbitraire. Le monstre ici est avant tout un père revenu de la guerre irrémédiablement changé, violent et misogyne faisant régner un ordre martial dans la maison. De nombreuses planches reviennent sur cette figure paternelle tellement espérée et finalement décevante et castratrice. Lors d’un long flashback, l’auteur reviendra sur son expérience militaire et des explications vont étayer le personnage, lui donner une dimension supplémentaire.
Horrible aussi, la machinerie d’état, l’armée et la recherche qui ne reculent devant rien pour récupérer des travaux prometteurs en terme de développement militaire mais plus que limite au niveau moral. Très mystérieux au départ, la lumière est faite peu à peu sur le protocole appliqué et sur la personne à l’origine de tout cela (dans le genre fou furieux, il se pose là !). Rien ne nous est épargné sur les origines de cette découverte qui fait froid dans le dos et ensuite, lors de la chasse au cobaye, on retrouve les thématiques de la Raison d’état qui supplée les libertés individuelles et le droit naturel de chaque être humain de vivre. On retrouve vraiment cette ambiance du roman de Shelley avec une créature qui échappe à ses créateurs, symbole d’innocence bafouée et naviguant entre sursaut dans la réalité et folie galopante.
Le rythme est très lent, nous avons affaire à un comics qui mise avant tout sur le développement de ses personnages, leur psychologie est donc disséquée dans toutes leurs ramifications, y compris pour le personnages secondaires. Cela donne une ampleur impressionnante au récit et un cachet certain à cette histoire certes classique mais développée avec brio, montant en pression tout du long de ses pages. Par le biais d’allers-retours présent / passé, on fait le point sur les principaux protagonistes de l’histoire pour mieux cerner leur nature, leur motivations. Le voyage est renversant, profond et jubilatoire.
La mise en image est aussi sublime que le propos est profond. Respectant les codes du comics, le noir et blanc contrasté sied très bien à l’histoire. Le trait et la technique déployés magnifient la trame, se révèlent dynamiques, fins et décollent bien souvent les rétines. Vraiment une sacrée expérience pour un ouvrage qui rentre directement dans mes classiques du genre. À découvrir absolument si vous êtes amateurs.