"La Trilogie Spin" de Robert Charles Wilson
L’histoire : Une nuit d'octobre, Tyler Dupree, douze ans, et ses deux meilleurs amis Jason et Diane Lawton, assistent à la disparition soudaine des étoiles. Menacée par le soleil qui se transforme en nova, la Terre vit ses dernières heures. L'Humanité devra chercher refuge au-delà de l'Arc des Hypothétiques, dans le Nouveau Monde...
La critique de Mr K : Depuis pas mal de temps, je voulais lire la Trilogie Spin qui me faisait chaque année de l’œil à la librairie des Utopiales et à chaque fin d’ouvrage de Robert Charles Wilson que j’ai pu lire et dévorer jusqu’ici. J’adore cet auteur qui ne m’a jamais déçu et m’a procuré à chaque fois un sacré plaisir de lecture. Il était donc temps que je m’attaque à ce qui est considéré par beaucoup comme son chef d’œuvre. Ça tombe bien, on me l’a offert à Noël dernier, la vie est bien faite ! J’ai profité de l’accalmie des vacances de Pâques pour m’atteler à la tâche (il fait tout de même plus de 1150 pages !) et je peux vous dire que c’est du grand et du bon. L’amateur de SF prospective et inventive a été ravi de cette expérience assez grandiose et plaisante à souhait.
Le pitch de départ est assez incroyable et donne le ton : la Terre a été coupée du reste de l’univers par une mystérieuse barrière opaque à l’extérieure de laquelle le temps s’écoule des millions de fois plus vite. Il reste donc peu de temps avant que le Soleil ne transforme la planète en une boule de feu, exterminant ainsi l’humanité (on se prend à rêver, non ?). La question que tout le monde se pose c’est pourquoi et par qui la barrière a-t-elle été créée? La réponse viendra à la fin du premier volume, le roman Spin, et de fort belle manière d’ailleurs. Puis dans Axis et Vortex, Wilson creuse autour des concepts élaborés précédemment en changeant de ton, en se rapprochant plus de genre tels que le road-movie ou même de l’enquête policière. On y croise certains personnages déjà évoqués et des données qui jusque là pouvaient apparaître secondaires. Au final, on obtient une trilogie-somme grandiose dans son genre.
Dans le roman éponyme, le premier volume donc, on suit les bouleversements par le biais de trois amis d’enfance qui assistent ensemble à l’extinction des étoiles. Très différents tous les trois, ils vont emprunter des chemins dissemblables que nous allons suivre de plus ou moins loin, en se concentrant sur Tyler qui raconte l’histoire. Il deviendra médecin et restera toujours proche de Jason, génie vivant dans l’ombre d’un père tyrannique qui va se consacrer aux sciences et chercher à découvrir les vérités cachées derrière cet étrange voile. Ces deux là représentent la science, le progrès, l’abnégation de l’homme à comprendre mais aussi dominer la Nature même si dans ce domaine, Tyler est moins jusqu’au-boutiste que Jason. La sœur de ce dernier, Diane, avec laquelle le narrateur noue une relation ambiguë faite d’attirance physique et d’amitié, va suivre les chemins de la foi. La fin du monde est proche et une part de l’humanité face au péril à venir a décidé de se réfugier dans la croyance. L’opposition est donc forte entre les différentes prises de conscience, les parcours de vie que l’on suit. Mais pour autant un lien indéfectible unit ces trois là et il est tout aussi important que le background constamment en changement durant tout ce premier ouvrage.
Je n’en dirais pas beaucoup plus pour éviter de livrer des clefs essentielles de l’intrigue. Sachez que l’on est ici dans un récit intimiste mais aussi versant dans la science-fiction hard science, littérature parfois très technique mais toujours compréhensible ici. Au fil du déroulé, il est question de la mystérieuse barrière mais aussi d’astronomie, de voyage spatial, de terraformation, de colonisation, de mutation corporelle, d’évolution de la médecine. C’est passionnant, rondement mené et cela s’intègre toujours dans un récit aux multiples rebondissements et qui réserve nombre de surprises. Au passage, l’auteur s’interrogeant sur les conséquences sur les groupes humains, il égratigne notre propension à la panique, à reproduire nos erreurs malgré les évidences mais aussi notre inclination à la course au pouvoir (politique, économique, moral) et à la manipulation, des thèmes qui me sont très chers et que Robert Charles Wilson décortique sans pitié et avec une lucidité jubilatoire bien que souvent pessimiste. Que ce soit dans la cellule familiale ou dans le domaine public, politique, la condition humaine, nos tiraillements et nos espoirs sont éminemment reproduits avec une générosité sans borne. C’est du petit lait !
Passé ce premier volume impressionnant, dans Axis et Vortex, on explore les conséquences des actes et évolutions passées en revue précédemment. Le rythme est plus rapide, la densité des apports théoriques moindre et l’on se concentre sur des destinées individuelles qui semblent moins importantes, moins prégnantes sur l’histoire de l’humanité. On est toujours dans de la science-fiction, le background reste futuriste, très sombre (peut-être même plus, vu la fin de Spin) avec l’évocation toujours géniale d’une humanité à la dérive et des voyages extraordinaires qui m’ont séduit. Malgré un changement de ton qui d’ailleurs a déplu à certains, j’ai trouvé que ce petit changement de perspective enrichissait le matériel originel, le complétait admirablement et au final, lorsque l’on termine sa lecture, l’ensemble forme un tout cohérent et vraiment réjouissant car on a fait le tour de la question, la boucle est bouclée et l’on se dit que franchement ça valait le coup ! Des révélations supplémentaires reviennent sur des choses vues auparavant, on aborde d’autres systèmes organisationnels face à l’inéluctable et l’on a parfois des évocations bien flippantes de ce qui nous attend peut-être si l’on croise technologie de pointe et utopie orwellienne. Rien de moins !
Et puis pour lier tout cela, il y a la langue de Robert Charles Wilson, un auteur à part dans mon cœur qui possède une plume assez unique, dynamique, accessible malgré parfois des concepts abscons qui nécessitent de revoir ses connaissances voire de les bouleverser. Il n’a pas son pareil non plus pour décortiquer ses personnages, les animer et les rendre crédibles dans un contexte particulièrement bien rendu dans une ambiance d’Apocalypse à venir. Cette trilogie se lit vraiment toute seule, propose une vision et une aventure unique, des personnages charismatiques et emportera tout amateur de SF qui se respecte. À découvrir absolument si ce n’est déjà fait, vous ne le regretterez pas !
Egalement lus et chroniqués au Capharnaüm éclairé du même auteur :
- Les Chronolithes
- Mystérium