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Le Capharnaüm Éclairé
31 mai 2021

"Le Serpent majuscule" de Pierre Lemaitre

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L’histoire : Avec Mathilde, jamais une balle plus haute que l'autre, du travail propre et sans bavures. Ce soir est une exception. Une fantaisie. Elle aurait pu agir de plus loin, faire moins de dégâts, et ne tirer qu'une seule balle, bien sûr.

Dans ce réjouissant jeu de massacre où l'on tue tous les affreux, Pierre Lemaitre joue en virtuose de sa plume caustique. Avec cette œuvre de jeunesse inédite, il fait cadeau à ses lecteurs d'un roman noir et subversif qui marque ses adieux au genre.

La critique de Mr K : C’est avec beaucoup de plaisir que j’entamai la lecture du dernier Pierre Lemaitre, un auteur qu’on ne présente plus et que j’affectionne tout particulièrement notamment depuis la grosse claque reçue avec Au revoir là haut. Le dernier ? Pas vraiment. En fait, ce manuscrit n’avait jusque là jamais été édité et comme l’auteur le précise en présentation, il se sentait coupable d’avoir arrêté l’écriture de polar noir sans en avoir préalablement prévenu ses lecteurs. Il a donc remis le nez dans celui-ci, retouché quelques passages et, sa notoriété aidant, l’a fait éditer. Franchement, ça valait vraiment le coup de se repencher dessus car voici un ouvrage fort réjouissant, mené à 100 à l’heure, avec des personnages très charismatiques et une écriture gouleyante à souhait.

Mathilde est vieille, commence à perdre la boule et vit dans un petit pavillon de banlieue en compagnie de son chien Ludo, un dalmatien fidèle qui essuie régulièrement les colères et récriminations de sa maîtresse qui sent bien que le temps passe. Ex-résistante active pendant la Seconde Guerre mondiale, ex-professeur à l’Education Nationale, ex-femme de médecin, cette vieille veuve décatie sur les bords est surtout une tueuse à gage toujours en activité qui n’a pas son pareil pour exécuter à la perfection les contrats que lui propose Henri, son ami, mentor et chef direct. Mais voila, la machine commence à rouiller et Mathilde fait n’importe quoi et à se fait remarquer, ce qui est toujours dommageable dans ce type d’activité. Comme c’est un métier où on ne prend sa retraite que les pieds devant, commence un récit mêlant habilement road movie bien thrash, meurtres en pagaille, fuite en avant d’une tueuse complètement à l’ouest et une histoire d’amour qui traverse le temps mais se heurte à la Raison. C’est brillant et bruyant, impossible de relâcher l’ouvrage avant la fin.

Mathilde est littéralement magnétique. Cette femme à la verve toute audiardesque est désopilante mais aussi terrifiante. On peut dire qu’elle ne fait pas dans le détail, malheur à celle ou celui qui croise sa route, qu’il soit cible ou même simple spectateur. Être sans scrupule à la morale somme toute très personnelle (elle a un certain code de l’honneur à la géométrie très variable), on alterne avec elle scènes d’exécution aussi impromptues que de sang froid (le serpent du titre c’est elle) et préoccupations plus classiques des petites vieilles sur qui le temps fait son effet. On s’attache à elle bien malgré soi tant elle peut se révéler épouvantable mais sa façon de parler, de réagir est à se tordre, frontale, gouailleuse, menteuse comme une arracheuse de dent mais aussi parfois sensible et désarmée (face à Henri notamment). On aime à suivre la route de cette tueuse déjantée qui s’avère très complexe et entame clairement la dernière ligne droite de son existence.

On croise nombre de personnages plus ou moins secondaires qui tous subissent le même traitement d’un Pierre Lemaitre toujours aussi attaché à une caractérisation rapide et efficace. Un jeune flic solitaire, son supérieur bouffi autosuffisance amateur de noix de cajou, une veuve joyeuse adepte de libertinage, une garde malade asiatique séduisante, un vieux monsieur qui perd la boule, un voisin trop curieux, un pompiste trop aidant et tant d’autres personnages auxquels je vous déconseille de trop vous attacher. Cet ouvrage ferait pâlir George R. R. Martin tant ça défouraille sec et que l’existence de chacun tient à un fil ou plus exactement à l’humeur d’une certaine Mathilde notamment. L’auteur est une fois de plus sans pitié et je peux vous dire que notre cœur fait des bonds quand d’une page à une autre un personnage disparaît après des dizaines de pages en sa compagnie. C’est culotté comme prise de risque, bien rythmé et surtout totalement plausible malgré une course à la mort qui va crescendo vers un final haut en couleur qui tombe à pic et franchement m’a séduit.

On ne s’ennuie donc pas une seconde avec "Le Serpent majuscule", alternant sourires et grincements de dents, Pierre Lemaitre ménageant le chaud et le froid avec un talent impayable provoquant une adhésion totale du lecteur. Ça se lit une fois de plus très facilement, on se plaît à se laisser mener par le bout du nez et à tomber de Charybde en Scylla au fil du déroulé de la trame. Une excellente lecture qui ravira les fans du genre et de l’auteur.

Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
Robe de marié
Au revoir là-haut
Trois jours et une vie
- Couleurs de l'incendie
- Cadres noirs
- Miroir de nos peines

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Commentaires
L
magnifique chronique, je rejoint totalement ton avis! un bon défouloir!
Répondre
E
il y a déjà eu une mamie tueuse récemment (je n'avais pas aimé le style du coup j'avais abandonné ma lecture), je pense préférer l'écriture de Lemaître du coup
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