"Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs" de Sylvia Ekström et Javier G. Nombela
/image%2F0404534%2F20240422%2Fob_cf0ee8_ekstrom.jpg)
L’histoire : Mars soulève d’invraisemblables projets de colonisation qui donnent, à grand renfort de jolis films d’animation et de nombreuses superproductions de science-fiction, l’impression d’être réalisables à court terme. Le grand public en est venu à considérer que vivre normalement ailleurs que sur Terre est très facile, alors que ce n’est pas le cas.
La réalité est beaucoup plus rude. Une analyse critique et sérieuse des immenses écueils qui se dressent entre nous et notre plus proche voisine montre que, sortis de la double protection terrestre (atmosphère et magnétosphère), nous sommes terriblement vulnérables dans un cosmos hostile et glacial. Faire amarsir une fusée contenant des êtres humains confinés dans quelques mètres cubes pendant six mois et épuisés par un si long voyage hors gravitation terrestre, relève de l’inconscience la plus totale. Sur Mars, les conditions extrêmes et le manque de ressources vitales rendraient la survie d’improbables martionautes bien plus difficile qu’en Antarctique : la plus minime erreur humaine, la moindre défaillance matérielle ou la plus légère déchirure d’une combinaison spatiale seraient fatales.
Il n’y a pas de planète B. Nous sommes les habitants naturels de la Terre et destinés à y vivre pour toujours, obligés d’en prendre le plus grand soin. Les rêves loufoques de colonisations lointaines sont des mirages inutiles et dangereux qui gagneraient beaucoup à vite se transformer en un projet bien plus urgent et nécessaire : rendre notre biosphère à nouveau viable à long terme.
La critique de Mr K : Chronique d’un essai fantastique aujourd’hui avec Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs de Sylvia Ekström (astrophysicienne suisse) et Javier G. Nombela (graphiste pour les modèles et illustrations présentés dans le livre), ouvrage paru en début d’année aux éditions Favre. Il est beaucoup question de Mars depuis des décennies dans le domaine de l’aérospatiale. Différents programmes étatiques mais aussi depuis quelques temps certains milliardaires pour le moins excentriques se sont donnés pour objectif l’exploration puis la colonisation de Mars. Jusqu’à quel point s’agit-il de projets sérieux ou de lubies irréalistes ? A travers les 220 pages de cet ouvrage, on s’attache à réfléchir sur ces questions ô combien fascinantes et prouver sans l’ombre d’un doute que l’Homme ne vivra jamais ailleurs que sur notre chère planète Terre. L’idée n’est pas d’être péremptoire ou briseur de rêve mais de confronter ces rêves à la réalité des faits et de la science. Cela paraît essentiel dans cette époque où les fake news pullulent et où il est bon parfois de revenir sur Terre et de réfléchir à tête reposée.
Mars, on en a tous rêvé un jour : aller dans un vaisseau spatial en quittant la belle bleue que l’on regarderait s’éloigner inexorablement à travers le hublot, explorer les déserts rouges et pourquoi pas s’y installer dans des villages futuristes après une terraformation qui aurait permis de reconstruire une atmosphère viable tout en créant artificiellement une pesanteur proche de la nôtre et en reproduisant notre mode de vie loin de chez nous (agriculture, industrie, fourniture d’énergie etc.). Je ne parlerai pas de mes velléités de rencontres du troisième type, il n’en est vraiment pas question dans ce livre ou presque... Je suis au regret de vous annoncer que rien de tout cela ne tient vraiment debout et qu’en l’état actuel des avancées technologiques et scientifiques, nous ne serions pas capable d’y parvenir et qu’à part de belles opérations de communication, rien ne repose sur du concret ou du moins du réalisable à court terme.
Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs débute par un point sur notre espace temps immédiat. À partir des données recueillies ces dernières années, les auteurs reviennent sur des points importants à connaître avant d’aborder de front la question de l’envoi d’êtres humains sur Mars la Rouge. La taille du système solaire, son fonctionnement, sa place dans la voie lactée et le voisinage galactique permettent déjà de se faire une idée de notre vraie place dans l’univers et d’essayer d’appréhender la notion de distance galactique. Ensuite, elle nous parle du temps terrestre et notamment de l’âge réel de notre planète et le temps infiniment long qu’il lui a fallu pour devenir ce monde habitable que nous connaissons aujourd’hui (quoi qu’avec le réchauffement climatique, ça commence à se compliquer). Intéressant quand on compare cela avec les théories fumeuses de certains patrons d’industrie qui pensent recréer une atmosphère respirable grâce à l’envoi d’ogives nucléaires (Elon Musk est un grand marrant !). Ces premières bases posées, on sent déjà que la colonisation de Mars va poser souci.
La deuxième partie peut donc continuer à déconstruire beaucoup de fantasmes ou chimères qui circulent sur le thème de la colonisation de Mars. À commencer par le voyage lui-même qui s‘avérerait long mais possible suivant un trajet en courbe (le point A et B rappelons-le sont des planètes qui tournent autour du soleil à des vitesses différentes), un vaisseau à toute épreuve et l’épreuve terrible de l’atterrissage sur Mars qui serait complexe du fait de la gravité et du poids même du vaisseau (plusieurs dizaines de tonnes au bas mot). Mais le plus risqué et difficile à gérer est le facteur humain lui-même avec notamment la question de l’équipage (qui pour quel entraînement ?), le confinement terrible du voyage, les soucis de santé (quid des rayonnements cosmiques ? De la diminution de la masse osseuse ?), la protection des corps humains, le ravitaillement... Et puis une fois sur place, quel habitat ? En surface, dans les grottes ? L’obligation de porter des combinaisons en permanence, les écarts de météo... bref c’est pas gagné !
Dans la dernière partie, Sylvia Ekström et Javier G. Nombela reviennent plus en détail sur les programmes prévus par la NASA, certaines associations, Elon Musk (qui en prend pour son grade à raison) mais aussi sur l’évolution technologique planétaire qui gênera sans aucun doute les futures observations du ciel ou le départ de fusée / vaisseau. Ça commence à être embouteillé en haut avec la multiplication des satellites de toutes sortes et les déchets par milliers qui errent en orbite, rappelez vous le film Gravity, tout commence par un accrochage minime. Naturellement, les auteurs arrivent à la conclusion qu’on ferait bien de prendre davantage soin de notre Terre car à priori, il n’y a pas de plan B. Pour l’exploration de Mars, contentons nous de la littérature, des films ou des séries. Le rêve est toujours permis !
Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs se lit d’une traite et avec une facilité déconcertante. Le sujet est passionnant, les enjeux énormes et malgré une approche scientifique rigoureuse, le littéraire que je suis a trouvé l’ensemble très digeste, pédagogique et même drôle par moment. Sylvia Ekström et Javier G. Nombela se permettent régulièrement quelques bons mots, des réflexions bien senties mais aussi quelques passages plus engagés sur la nécessité de vraiment réagir face aux risques pesant sur notre planète. Un ouvrage à lire absolument pour tous les passionnés du sujet.