"Construire un feu" de Chabouté
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L’histoire : Un homme marche dans le Grand Nord canadien, vers une mine où d’autres sont déjà, à chercher l’or qui pourrait faire leur fortune et changer leur vie. Sous ce ciel sans soleil, il est accompagné de son chien-loup. Il fait probablement soixante degrés en dessous de zéro. Il connaît la région. Il sait faire un feu. Parviendra-t-il à atteindre sa destination ?
La critique de Mr K : Belle trouvaille une fois de plus avec cet ouvrage dégoté dans le CDI de mon bahut. Construire un feu de Chabouté est la libre adaptation de la nouvelle éponyme de Jack London, un de mes écrivains cultes qui m’a mené vers les joies de la lecture au début de ma vie de lecteur. Il est ici question de survie, de lutte contre les éléments et de nature humaine. Un triptyque traité de manière frontale et toute en beauté dont on ressort frappé et totalement émerveillé.
Avant de débuter l’ouvrage, j’ai relu la nouvelle de Jack London, ce qui m’a permis au passage de reprendre contact avec la langue si savoureuse d’un auteur dont j’ai lu l’intégrale (sous l’impulsion de ma grand-mère à l'époque) il y a déjà bien longtemps. Le texte est ultra-court (une dizaine de pages), il s’agit de la première version publiée par l’auteur. Il paraît qu’il y a d’autres versions plus ou moins enrichies qui depuis on fait leur apparition. Pas sûr donc que ce soit le meilleur matériel pour comparer avec l’adaptation de Chabouté mais on retrouve de nombreuses choses communes et également des différences notables notamment sur la fin qui est diamétralement opposée à celle de la nouvelle ! Ce n’est pas bien grave car la réussite est au rendez-vous dans la vision proposée par Chabouté.
Un homme et son chien errent dans le froid du Nord de l’Amérique. L’homme doit rejoindre un campement près d’une mine qui recèlerait un filon très intéressant. En ces temps de Ruée vers l’or, beaucoup d’aventuriers tentent leur chance dans ces grandes étendues sauvages que notre espèce n’a pas encore domestiquées. Il connaît son chemin, a de quoi manger et a prévu d’arriver le soir même. Rien ne va vraiment se passer comme prévu, il fait -60°C et les conditions empirent. Nous partageons alors son optimisme puis sa lente descente aux enfers. On l’avait pourtant prévenu, on ne doit jamais voyager seul dans cet endroit isolé où le danger guette le malheureux imprudent à chacun de ses pas.
Cette BD est très contemplative. Il y a des planches entières où il n’y a pas un mot ou une phrase d’écrite. On s’imprègne des vastes paysages qui nous sont donnés à voir et qui sont de toute beauté. Forêts impénétrables, rivières gelées et montagnes inaccessibles ravissent les pupilles et nous plonge dans une nature impénétrable, redoutable par son aspect sauvage et son imprévisibilité. Le froid est au centre des préoccupations et l’on en ressentirait presque le souffle sur sa nuque à chaque page que l’on tourne. L’immersion est totale et l’appréhension grimpe au fil de l'histoire.
Le narrateur ne nous épargne rien des pensées et soucis que rencontre le personnage principal. Parti avec de l’espérance plein le cœur, des rêves de gloire et de richesse, son esprit va déclinant au fil du jour qui défile et des difficultés rencontrées. Malgré une bonne préparation, la réalité le rattrape, par -60° les réflexes diminuent, la réflexion devient ardue et les réactions ne sont plus forcément les bonnes. Forcé de s’arrêter, il allume un feu (passage qui donne son nom à l’ouvrage). Ce rituel pourtant simple prend une tournure dramatique ici sous l’œil aiguisé du chien-loup qui accompagne son maître. Fatigue, engourdissement des sens et des membres sont décrits avec finesse et provoquent une empathie immédiate. L’angoisse monte crescendo...
Récit d’aventure et de survie avant tout, cette histoire propose en filigrane une belle réflexion sur notre nature profonde, notre penchant pour l’hybris et l’idée qu’on peut triompher de la nature impunément. Ce récit cruel mais d’un réalisme de tous les instants est un bijou en la matière. Avec une économie de mots toujours bien choisis, des dessins à couper le souffle et un rythme languissant qui semble suivre les pulsions cardiaques de l’infortuné héros. On part ici pour un voyage à nul autre pareil et qui marque l’esprit à jamais. À découvrir absolument pour tous les amateurs d’aventure et de nature writing, en parallèle du texte original c’est encore mieux !