"Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant" de Jung Jae-Han
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L'histoire : Bienvenue au cabinet secret de Nam Hanjun, alias Beau Gosse, pseudo-chaman et authentique escroc. Avec ses deux complices, Hyejun, sa petite-sœur hackeuse de génie et Sucheol, dit Mammouth, détective privé, ils offrent à leur riche clientèle des "divinations" sur mesure qui font leur succès.
Un soir, une cliente les appelle après avoir cru apercevoir un fantôme dans sa cuisine. Quand ils arrivent leur présence attire l'attention d'un voisin qui prévient la police. Une jeune inspectrice se rend sur place, Ye-eun, experte en arts martiaux, que ses collègues surnomment justement le fantôme tant elle est rapide et discrète. Dans la cave de la maison, elle découvre le cadavre d'une adolescente recherchée depuis un mois.
La critique de Mr K : Petite incartade bien piquante au pays du matin calme avec cette comédie policière coréenne pas piquée des vers. Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant de Jung Jae-Han m’a bien convaincu malgré un démarrage un peu poussif... mais en persévérant personnages et intrigue générale prennent une belle ampleur, l’addiction arrive et l’ouvrage se termine en apothéose.
On suit donc tout particulièrement trois personnages dont un frère et une sœur hauts en couleur. Il y a tout d'abord Han Jun, le frère, qui s’est autoproclamé chamane et qui s’avère très vite être un bel escroc ! Il vit de prévisions et d’actes d’exorcisme qu’il facture très cher. Amateur de luxe, poseur devant l’éternel, il mène ses affaires tambour battant et ne fait que peu cas de la morale. Dans son sanctuaire, il travaille notamment avec sa frangine, Hye-Jun, génie de l’informatique embauchée puis virée par le FBI qui fait des miracles derrière ses écrans. Elle est très utile pour mieux enquêter sur les clients et dégoter des informations précieuses. Enfin, il y a aussi Su-Cheol, détective privé attaché aux deux Jan aussi costaud que dévoué au sanctuaire. En parallèle, sur certaines enquêtes, on croise un quatrième larron, une enquêtrice de police jeune, motivée et virevoltante qui ne lâche rien mais alors vraiment rien ! Ces quatre là, au fil des cas sur lesquels ils enquêtent, se croisent, s’affrontent même parfois, la police n’aimant pas que l’on marche sur ses plates bandes.
Les débuts comme dit précédemment sont déconcertants. La langue et la construction ne m’ont pas du tout touché. Je trouvais les affaires expédiées, sans réelle saveur ni épaisseur. Les récits me semblaient plutôt légers, faciles à écrire en tout cas quand on pratique le genre depuis un certain temps. Les personnages principaux très caricaturaux s’avéraient surfaits mais aussi parfois agaçants. C’est peu de dire qu’au départ, je n’ai pas été emballé. Beaucoup peut-être auraient abandonné cette lecture au bout de cinquante pages mais c’est sans compter mon opiniâtreté et mon goût pour la littérature asiatique en générale. Et puis, cette maison d’édition m’avait épaté avec Sang chaud de Kim Un-Su, les mêmes éditeurs ne pouvaient avoir choisi d’éditer un récit si plat.
En fait, tout décolle vraiment au premier tiers quand l’affaire de la jeune fille morte aux escarpins blancs prend de l’ampleur. On se rend compte que toutes les circonvolutions et détails précédents prennent leur importance. Au final, les personnages ne sont pas si lisses que cela, à commencer par le chaman qui cache un sacré secret qui remet totalement en perspective tout ce qu’on peut se faire comme idée sur lui, en tout les cas, il est bien plus profond que l’image superficielle et suffisante qu’il donne à voir. Les relations avec ses deux acolytes gagnent en substance, une certaine sensibilité se dégage et les rapports avec la policière prennent le même chemin. C’est diablement bien mené cette affaire et on se fait agréablement surprendre par une alchimie séduisante et durable.
De plus, l’enquête en elle-même se révèle bien tortueuse. Là où au départ, on se trouve devant une histoire fun à la Tarantino parfois (dans les punchlines, les scènes d’action parfois délirantes), les indices mènent les protagonistes dans les rouages d’une entreprise peu scrupuleuse où l’on explore des univers interlopes peu ragoûtants : promesses de carrières, prostitution, drogue et manipulation, carriérisme politique, lobbying en tout genre. Autant dire qu’on plonge littéralement du côté sombre de cette société policée qui cache des vices bien épouvantables. Les bad guy sont très réussis, retors à souhait, baragouineurs, parfois avec des passés terribles qui expliquent la déliquescence de leurs âmes. On déguste avec un plaisir renouvelé cette immersion totale dans un pays aussi fascinant qu’étrange.
Je ne vous cacherai pas que la langue n’est pas la plus subtile que j’ai lu en provenance de ce pays littéraire entre tous. C’est efficace, les changements de narration bien trouvés mais on reste dans un niveau fun sans plus. J’ai par contre particulièrement apprécié les notes de bas de page qui sont assez rigolotes, les traducteurs s’en sont donnés à cœur joie et ont à priori respecté ce que l’auteure elle-même distille dans la version originale. Franchement, on passe donc un bon moment avec Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant. La lecture est aisée et quand on rentre dans le cœur du sujet, on ne peut que poursuivre jusqu’au mot fin. C’est déjà gage d’une bonne lecture, non ?