"L'Ere de l'égoïsme" de Daryl Cunningham
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Le contenu : Après la science ("Fables Scientifiques") et la maladie mentale ("Fables Psychiatriques"), Darryl Cunningham se penche sur les relations entre la politique et l’économie, et plus précisément sur l’évolution des doctrines libérales et leur rôle dans le déclenchement de la crise de 2008, puis de la montée des extrêmes droites en Europe.
Dans un premier temps, Cunningham brosse le portrait d’Ayn Rand, auteure américaine, - notamment de "La Grève" - relativement peu connue en France mais qui a été extraordinairement influente aux États-Unis. Ayn Rand est à l’origine de la doctrine de l’objectivisme et a influencé de très nombreux hommes politiques américains, dont les libertariens, mais aussi des personnes clés de l’administration qui jouèrent un rôle prédominant au moment de la crise de 2008.
Cunningham décrit également dans le détail les mécanismes en cause dans cette crise et les ravages qu’elle a causés, parallèlement à un nouvel essor des politiques libérales et à la montée de l’individualisme dans nos sociétés. Son engagement est sans équivoque et il annonce clairement la couleur dans sa préface : "Dans des États démocratiques, où le droit de vote existe, nous sommes responsables d’avoir donné le pouvoir à ceux qui estiment vertueux de privilégier l’amoncellement d’argent au lieu de l’égalité de tous."
La critique de Mr K : Lecture différente aujourd’hui avec cette BD documentaire parlant de l’expansion des doctrines libérales et leur rôle clef dans la crise de 2008 qui a mis le monde à genoux et dont on mesure encore les effets. Dans L’Ere de l’égoïsme, Daryl Cunningham propose trois parties qui s’articulent autour d’une doctrine qui prône l’individualisme au détriment du bien commun. Avec pédagogie, humour mais aussi un très bon esprit d’analyse, l’auteur nous ouvre les portes d’une élite qui domine le monde et l’entraîne malheureusement vers sa perte.
Tout commence avec la biographie d’Ayn Rand, une auteure américaine à l’origine avec d’autres de la pensée ultra-libérale avec comme concept d’origine l’égoïsme élevé au statut de vertu cardinale. Daryl Cunningham revient sur sa personnalité complexe, son parcours mais aussi son influence grandissante dans certains milieux de pouvoir : d’abord les finances puis peu à peu la politique. Cette partie est très intéressante car malgré un parti pris certain (l’auteur est clairement un progressiste et non un conservateur), il nous donne à voir le parcours de cette femme dans ses moindres détails et au fil du déroulé, ses fêlures et ses contradictions. On rentre même dans le cercle des intimes (dont certains personnages auront un grand rôle à jouer par la suite) et l’on se rend compte que ses théorie individualistes se heurtent très vite à sa volonté de tout contrôler notamment son mouvement. Elle qui s’érige contre le collectivisme et prône le libre choix en tout se révèle avoir une personnalité bien autoritaire voire dictatoriale. Le glissement est fascinant et explique mieux la suite.

Le deuxième chapitre explique donc en détail la grave crise financière de 2008 qui nous a touché de plein fouet et dont nous subissons encore les effets. On commence avec des explications sur les mécanismes en jeu : banques financières et banque des dépôts, politiques fiscales successives du gouvernement, idéologie libérale en vogue, subprimes, évasion fiscale, risques partagés et risques individuels et bien d’autres concepts purement économiques... C’est assez technique, quelques points m’ont d’ailleurs égaré en chemin mais ce n’est pas bien grave, les différents éléments s’imbriquent bien pour lancer les hostilités quand l’effondrement devient inéluctable. La théorie des dominos en direct fait froid dans le dos et surtout, on se rend compte (mais on s’en doutait bien) que nous avons été les dindons de la farce. Les ultra-libéraux sont bien contents de trouver l’État Providence pour renflouer leurs caisses et continuer pour certains à distribuer les dividendes à leurs actionnaires. Le pire est qu’on aurait pu penser que cette catastrophe leur a servi de leçon, mais non tout va bien, le système se perpétue et malgré quelques têtes coupées, les bonnes vieilles habitudes sont revenues en force avec son cortège d’inégalités sociales et environnementales. À gerber !

Enfin, la troisième partie est totalement différente avec pour commencer la mise en image d’une étude américaine sur le mode de fonctionnement des cerveaux et les habitudes quotidiennes de personnes conservatrices et progressistes. Loin de prendre parti, on s’intéresse ici à la psychologie intrinsèque de ces deux camps antagonistes mais qui peuvent à l’occasion se rejoindre. C’est passionnant car c’est assez juste quand on se l’applique à soi-même ou à des personnes de son entourage. Puis il revient sur les pratiques politiques actuelles avec notamment cette propension à couper systématiquement dans les budgets des services publics accusés de mille maux et que seuls des cures d’austérité pourraient rendre efficaces. L’auteur nous prouve une fois de plus l’illusion et la malhonnêteté qui règne derrière ces politiques plus mortifères qu’autre chose avec notamment l’exemple des allocations handicapées au Royaume-Uni avec les morts que cela a pu causer. Ce n’est pas très réjouissant je vous l’avoue et la conclusion est sans appel, soit le monde doit changer (et donc la nature humaine, vaste programme) soit nous courrons irrémédiablement vers notre fin et celle de la planète.

L'Ere de l'égoïsme est une vraie réussite car très pédagogique comme dit précédemment. L’auteur prend vraiment le temps d’expliquer, de comparer et d’illustrer ses propos. Les dessins sont très agréables, on tire ici vers le minimalisme, ce qui est impeccable pour faire passer efficacement des idées et pouvoir agrémenter les cases de la somme de connaissances à faire passer. L’ensemble est vraiment épatant et devrait être lu par tous. Même si on peut ne pas être d’accord avec certains propos, cette bande dessinée a le mérite de mettre les choses au clair. Au moins, on ne pourra pas dire qu’on n’était pas au courant. À lire absolument pour s’éveiller et peut-être un jour renverser l’argent roi et revenir à des sociétés plus soucieuses du collectif et de l’intérêt commun. On peut toujours rêver... ce n’est pas encore interdit !