"Hourra l'Oural encore" de Bernard Chambaz
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Le contenu : L'hiver en train, l'été en car, Bernard Chambaz a parcouru l'Oural du sud au nord. Situé entre les capitales de l'ouest et l'immensité transibérienne, frontière entre l'Europe et l'Asie, ce territoire reste méconnu. Ce voyage doit à son amour de la Russie et de son peuple, mais aussi à la puissance des livres. Parmi eux, il y a le recueil largement oublié et assez décapant d'Aragon (Hourra l'Oural), l'ombre de Pasternak et du docteur Jivago, l'ombre plus noire de Chalamov et du goulag. L'Oural, c'est aussi la terre natale de Boris Eltsine, dont on suivra les traces. On vérifiera que les statues de Lénine n'ont pas toutes été déboulonnées, loin de là, et que si on a pu évoquer la fin de l'homme rouge, l'homo sovieticus tend à devenir pour les jeunes générations un objet, sinon un sujet de folklore.
Dans ce récit de voyage peu ordinaire, vous croiserez des météorites, suivrez une enquête sur la disparition étrange de géologues il y a cinquante ans, vous échapperez à un accident d'avion, vous verrez des camions rouler sur la Kama gelée, visiterez le camp de Perm-36 et les monastères de Verkhotourié, sillonnerez Ekaterinbourg sur les traces des Romanov, découvrirez Tcheliabinsk et son formidable musée des tracteurs à défaut de la centrale nucléaire de Majak, le site archéologique exceptionnel d'Arkaïm qui date de l'âge du bronze, avant d'admirer sous un ciel gris et déjà froid la modernité de la capitale bachkire.
La critique de Mr K : Belle lecture à nouveau aujourd’hui avec Hourra l’Oural encore de Bernard Chambaz, un ouvrage paru aux éditions Paulsen à l’occasion de la rentrée littéraire. À ranger dans le genre du témoignage, dans cet ouvrage l’auteur nous propose de le suivre dans les deux voyages qu’il a entrepris il y a peu dans des régions méconnues de l’Oural, chaîne de montagnes russe que l’on présente bien souvent comme la frontière naturelle entre l’Europe et l’Asie. Il se lance ainsi sur les traces d’écrivains célèbres qui l’ont marqué chacun à leur manière dont Pasternak et son Docteur Jivago (lu il y a une éternité et que j’ai du coup envie de redécouvrir) et Aragon avec son Hourra l’Oural qui inspire le titre de cet opus.
Ses souvenirs relatent donc deux voyages, l’un en hiver, l’autre en été. Passionné par la Russie, où il s’est rendu pour la première fois en 1964, il nous emmène dans des lieux et villes inconnus pour nous autres occidentaux mais qui ont compté en leur temps par les activités, leur statut, les hommes célèbres qui y ont vécu ou encore par leur positionnement géographique. On découvre ainsi des villes aux noms aussi imprononçables qu’exotiques dans leur genre : Berezniki, Abzakovo, Verkhotourié, Ekaterinbourg, Tcheliabinsk ou encore Magnitogorsk. Pas de doute, nous sommes bien en Russie ! Trains, cars et taxis mènent le narrateur et son "amoureuse" (comme il dit) sur la piste de l’ex-URSS entre camp de travail, maisons et écoles de personnages illustres (dont Eltsine) et sur la Russie d’aujourd’hui qui apparaît en filigrane au fil des rencontres effectuées.
Ce témoignage est un subtil mélange d’émotions diverses et d’érudition. Rappelons que l’auteur est historien à la base, grand amateur de littérature russe et qu’il s’intéresse de très près au passé de cette nation très particulière. Bien que disparu depuis 1991, l’URSS hante encore ces paysages à travers notamment des musée plus ou moins folkloriques, la visite d’un camp de travail du Goulag se révèle saisissante (avec au passage des références à un livre sur le sujet de Chalamov que je compte bien me procurer). On sourit bien plus lors de la visite d’un musée sur les tracteurs de la grande époque soviétique ! On accompagne aussi Bernard Chambaz sur les traces de Boris Eltsine, on en apprend de belles sur le tombeur de Gorbatchev avec notamment les circonstances où il a perdu un pouce et l’index dans sa prime jeunesse (j’avoue, j’avais jamais fait gaffe à ce détail avant !), son parcours d’écolier à priori pas des plus sage ou son voyage à la manière de Jack Kerouac à travers la Russie de l’ouest. Il y a ainsi dans cet ouvrage pléthore d’anecdotes, de micro-biographies ou d’observations historiques, sociologiques même parfois qui donnent à voir ce qu’a pu être l’URSS mais aussi l’empreinte qu’elle a laissée dans les esprits trente ans après son écroulement entre langues qui se délient, un Staline parfois fantasmé ou complètement honni, Lénine encore et toujours présent sous forme de statues...
Ces éléments historiques et culturels n’alourdissent pas cet ouvrage qui est avant tout le récit d’un voyage en couple. Très discret sur sa moitié, Bernard Chambaz nous raconte par le menu toutes les rencontres qu’ils ont pu faire que ce soit des passagers de transports en commun ou encore les nombreux guides qui les promènent à droite à gauche. Maîtrisant à minima la langue russe, les deux voyageurs ne sont pas avares en tentatives et tactiques pour communiquer avec les autochtones. Cela donne d’étonnants moments de partage, d’échanges et parfois de balourdises involontaires. Il se dégage un côté léger, frais (pas au sens polaire - sic -), une profonde humanité (loin des clichés véhiculés sur ce pays fascinant), dans ces chapitres qui se lisent à toute vitesse. L’auteur et le lecteur ne sont pas pour autant dupes sur le contexte géopolitique et la dérive autoritaire poutinière (la culture politique russe est ainsi faite) mais le propos est autre ici, il s’agit avant tout de se balader, observer et comprendre des lieux et des personnes parfois insolites.
Très belle lecture que celle-ci donc, on retrouve la patte si spéciale de cet auteur attachant au style simple et dense qui sait distiller informations et émotions de manière fine. Tous les amoureux de récits voyage peuvent y aller, on est ici face à un très beau spécimen !