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Le Capharnaüm Éclairé
29 août 2020

"Marilou est partout" de Sarah Elaine Smith

L’histoire : Je n’essayais pas de devenir Jude. Pas exactement. Mais je voulais disparaître, et elle avait laissé une place.

 

Elevée au cœur de la Pennsylvanie rurale, Cindy, une jeune gamine livrée à elle-même, ne sait rien du rêve américain. Lorsqu’une belle adolescente surnommée Marilou disparaît, Cindy va peu à peu se rapprocher de la mère de celle-ci, Bernadette, folle de douleur. Si elle y voit l’occasion d’échapper à la médiocrité de son existence, peu à peu l’impensable va se produire : Bernadette va réellement prendre Cindy pour sa fille. A quel prix cette illusion fragile peut-elle tenir ?

 

La critique de Mr K : Gros coup de cœur pour cet ouvrage de la rentrée littéraire que j’ai littéralement dévoré à l’ombre des cerisiers de la mémée de Nelfe en pleine canicule périgourdine. Marilou est partout de Sarah Elaine Smith est un premier roman d’une jeune poétesse américaine qui frappe fort et juste avec un ouvrage hypnotique et envoûtant qui propose un voyage sans concession dans des esprits abîmés par la vie en quête d’identité et de rédemption.

 

La quatrième de couverture est plutôt trompeuse en fait. La question de l’usurpation d’identité n’intervient que dans la deuxième partie de cet ouvrage de 320 pages. Les débuts s’attardent beaucoup sur la disparition de Jude, une jeune femme métisse douée à l’école qui disparaît lors du retour d’un week-end camping plutôt mouvementé avec des copines. Cet événement et l’enquête qui va suivre font beaucoup de bruits dans la bourgade où tout le monde se connaît et où l’on se plaît à émettre ses propres hypothèses. Les jours et semaines passent, pas de nouvelles de la disparue.

 

En parallèle, on fait la connaissance de Cindy, une jeune femme de 16 ans dont l’un des grands frères est sorti pendant deux ans avec la fameuse Jude. Elles ne se fréquentaient pas mais pour Cindy, Jude était une lumière dans la nuit, un modèle qui l’empêchait de sombrer car elle vit dans une misère avilissante. Mère absente depuis des mois, frères trop jeunes pour prendre soin d’elle et qui la laisse "pousser" bon gré mal gré. Elle est en décrochage scolaire, vit dans la crasse et se nourrit comme elle peut. À l’aube de la puberté, on la sent en quête de repères, sa fragilité et sa naïveté sont exposées à travers des scènes d’un quotidien morne, monotone où nul espoir semble perceptible.

 

Et puis, en accompagnant ses frères lors de travaux de tontes et de jardinage dans le voisinage, elle rencontre Bernadette, la mère de Jude. Cette dernière anéantie par le chagrin et un alcoolisme de plus en plus prononcé la prend pour sa fille disparue. Tout d’abord choquée par cette confusion, Cindy prend peur mais sous l’impulsion de son frère, elle décide de jouer le jeu pour veiller sur cette femme au bord de la folie. L’engrenage se met en marche et des événements à venir vont venir aggraver la situation jusqu’à la rendre insupportable.

 

Quel roman vraiment ! On est directement pris à la gorge par le destin terrible qui semble chevillé aux corps de Cindy. Ce portrait de pré-ado en danger, livrée à elle-même est bouleversant. Crû, réaliste, cet ouvrage provoque une empathie immédiate envers cette pauvre gamine que la vie n’a vraiment pas gâtée. Tout est ici décrit avec subtilité et sans faux semblants, on ne tombe jamais dans l’exagération ou l’apitoiement, tout est remarquablement dosé. Raconté à la première personne du singulier, on vit de l’intérieur ce voyage quasi initiatique, partagé entre des émotions diverses qui affleurent au fil des mots savamment distillés par une auteure à l’écriture imagée, neuve, qui ne ressemble à aucune autre. Malgré l’aspect sombre du sujet abordé, les rebondissements parfois difficiles, on ne peut qu’être séduit et emporté par cette œuvre remarquable à tout point de vue.

 

Tous les personnages sont ici soignés, ciselés à merveille par une écriture d’une rare puissance qui peint avec brio ces trajectoires branlantes parfois aux portes de la folie. Ainsi le personnage de Bernadette est pathétique au possible et rappelle à chacun comment l’on peut facilement perdre pied quand un malheur vous frappe. Cindy au fil de ses pensées revient sur les différents membres de sa famille (ses frères, sa mère), les liens qui les unissent mais aussi les failles émotionnelles qui expliquent de l’intérieur les dysfonctionnements qui conduisent à la situation actuelle et la précarité dont elle est victime. La fin de l’ouvrage s’avère touchante au possible avec une fin logique et plutôt ouverte qui m’a terriblement plu entre prise de conscience et rédemption.

 

Je vais arrêter là pour éviter de trop lever le voile sur ce roman qui s’apparente à un trésor d’humanité et d’exploration psychologique, un ouvrage qu’on n’oublie pas de sitôt tant il marque son lecteur d’une empreinte indélébile. Les pages se tournent toutes seules, on navigue au cœur d’une humanité en déserrance qui se cherche et parfois dévisse profondément. Marilou est partout est un roman incroyable et une pièce de choix à côté de laquelle il ne faut pas passer. Gros coup de cœur, je vous l’avais dit !

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