"Le Cœur en Islande" de Pierre Makyo
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L’histoire : Comme chaque année, les marins partent pêcher la morue en Islande, terre lointaine et fantasmagorique pour les enfants qui restent au port. Parmi eux, Moïse, "le petit miracle" comme l'appelle affectueusement son père. Un sobriquet dont l'enfant ne va plus tarder à connaître l'origine : sa mère ne serait pas sa vraie mère. Elle l'aurait découvert au fond d'une barque rejetée par les flots. Sa mère naturelle serait une ancienne prostituée qui aurait accordé ses dernières faveurs à trois hommes... Mais alors, qui est son vrai père ? Séraphin, le poète qui, tel un ange gardien, est toujours là quand il en a besoin ? Monsieur Worris, le riche armateur qui voudrait tant l'envoyer étudier à Lille ? Ou bien Ernest, son père adoptif qui l'aime sans compter ? Entre les trois, Moïse devra choisir... ou partir.
La critique de Mr K : Je n’ai pas hésité une seule seconde à emprunter cet ouvrage au CDI de mon bahut avant la fermeture estivale, j’adore les récits de marins ou se déroulant dans le milieu de la pêche. Le Cœur en Islande (ici dans sa version intégrale) de Pierre Mako m’avait jusque là échappé et lors de la toute dernière journée au bahut, je suis tombé dessus par hasard sans jamais en avoir vraiment entendu parler. En le feuilletant rapidement, je constatais déjà que le trait des dessins me plaisait beaucoup, je l’empruntais dans la foulée et je peux d’ores et déjà vous dire que je ne regrette pas du tout ma lecture, bien au contraire !
L’histoire se déroule donc à Dunkerque à la fin du XIXème siècle, début XXème siècle. Moïse, un jeune garçon de treize ans ronge son frein. Il ne peut pas encore participer aux campagnes de pêche en tant que mousse, étant considéré comme trop jeune. Il passe donc son temps avec ses copains restés à terre et se cherche. Très vite au début du volume, il apprend en même temps que nous d’où vient son nom. Il a lui aussi été "sauvé des eaux" car trouvé encore nourrisson par sa mère adoptive sur le rivage dans une barque échouée. Cela l’ébranle forcément et il cherche à en savoir plus. Les événements se précipitent, il se retrouve avec trois pères putatifs et l’on essaie d’attenter à sa vie. Il va lui falloir découvrir le reste de la vérité et partir à son tour vers l’Islande pour lever le voile sur sa nature profonde.
Très beau récit que celui-là qui prend racine chez les ancêtres de Makyo lui-même. Il explique dans un mini-dossier constitué en fin d'ouvrage qu'il s'est inspiré de ses aïeux eux-même pêcheurs à la morue en mer d’Islande. Il s’inspire de faits, de souvenirs de famille qu’il a largement romancés. Certains personnages sont d’ailleurs des avatars de membres de sa propre famille, redessinés pour l’occasion. La démarche est donc artistique mais aussi un peu mémorielle, l’idée étant de raconter et décrire une réalité, une époque, en étant le plus précis possible tout en procurant une lecture plaisir. Le pari est gagné sur les deux plans !
À travers l’histoire de Moïse et de tous ceux qui l’entourent, Makyo réussit pleinement à nous décrire cette vie très dure, faite de sacrifice pour ces hommes qui partent six mois de l’année sur des bateaux inconfortables où maladies, vermine, froid, tensions et insécurité étaient leurs compagnons d’infortune. Il s’attarde aussi sur ceux qui restent à terre, à commencer par les femmes qui en attendant leur retour s’attelaient à différentes tâches contre menue rétribution pour pouvoir vivre convenablement. On explore aussi le monde plus luxueux des armateurs avec un personnage central dans l’histoire qui précipite la trame d'ensemble. Sans en faire trop et tomber dans le documentaire pur, cet ouvrage est une belle ouverture sur ce monde si particulier, on ressent les émotions multiples que peut ressentir un marin au long cours et l’on touche du doigt la réalité difficile qui fut la leur.
Le récit en lui-même tourne beaucoup autour de la notion de l’identité que l’on a, que l’on se forge et la notion de paternité. On est loin des sentiers battus ici avec un auteur qui prend son temps, suit avec précision et sensibilité les atermoiements de Moïse, ses questionnements, ses doutes et ses espoirs. C'est très touchant et remarquablement construit au fil des pages. On y croise de nombreux personnages étranges voire inquiétants dont le très très méchant, Xas, homme tatoué peu recommandable... Comme dans un puzzle, petit à petit les pièce se rejoignent, Moïse n’est pas au bout de ses peines. Makyo creuse aussi en parallèle le portrait émouvant de trois hommes qui ont différentes raisons de vouloir être le père de Moïse. Tous sont assez ambigus dans leur genre, on ne tombe pas dans le manichéisme donc et on a affaire à des personnages bruts de décoffrage, très humains finalement. La dernière étape de cette intégrale se déroule pendant une campagne de pêche où l’on assiste à un véritable drame maritime, rythmé comme il faut et avec un final des plus impressionnants qui mettra la touche finale à la révélation de la destinée de Moïse.
Le Cœur en Islande se lit très vite, pris que nous sommes par l’histoire de Moïse et le souffle social et historique qui s’étend sur ces pages. Très beau esthétiquement, la plongée est fabuleuse et l’on en ressort profondément heureux. Voilà un ouvrage à découvrir pour tous les amoureux de BD.