"Les Roses d'Atacama" de Luis Sepulveda
Le contenu : Qu'est-ce qui rapproche un pirate de la Mer du Nord mort il y a 600 ans ; un militant qui attend le 31 mars l'éclosion des roses d'Atacama ; un instituteur exilé qui rêve de son pays et se réveille avec de la craie sur les doigts ; un italien arrivé au chili par erreur, heureux à cause d'une énorme erreur et qui revendique le droit de se tromper ; un bengali qui aime les bateaux et les amène aux chantier où ils seront détruits en leur racontant les beautés des mers qu'ils ont sillonnées ?
Peut-être cette frontière fragile qui sépare les héros de l'Histoire des inconnus dont le nom restera dans l'ombre.
La critique de Mr K : Suite à sa douloureuse et brutale disparition, je décidai de farfouiller dans ma PAL à la recherche d’un titre d’ouvrage de Sepulveda qu’il me restait à découvrir. De mémoire j’en avais deux en stock. Je tombai finalement sur Les Roses d’Atacama que j’avais dégoté dans une brocante et qui attendait bien sagement la bonne occasion pour être exhumé et lu. Ce fut une fois de plus une lecture intense, profondément humaniste et engagée en même temps. La patte de Luis Sepulveda est décidément bien particulière et marquante.
Cet ouvrage est composé de 34 micro-textes étalés sur 160 pages. Sepulveda suite à une visite dans le camp de concentration de Bergen Belsen est tombé par hasard sur un épitaphe qui l’a bouleversé : J’étais ici et personne ne racontera mon histoire. C’est à ce moment qu’il a décidé d’écrire ce recueil, un livre qui relaterait ses rencontres avec des êtres ordinaires et pourtant extraordinaires à leur manière, des petites histoires qui font écho à la grande, glanées de-ci de-là ou encore des prises de positions fortes face l’incurie humaine que ce soit avec ses semblables ou envers Mère Nature. L’auteur fait donc acte de mémoire avec ces courts textes qui tirent de l’oubli des personnes lambda à priori, des pans d’Histoire, faisant réémerger des connaissances parfois enfouies profondément et au passage réveillent notre conscience.
Figures historiques oubliées, résistants à divers dictatures et autres régimes barbares (avec pas mal de référence au Chili de Pinochet, normal quand on connaît la vie de Sepulveda), le recul de la Nature face à l’activité humaine, les méfaits de l’ultra-libéralisme sur la Nature et les Hommes, Sepulveda aborde beaucoup de thématiques qui m’intéressent et qui pourraient filer le bourdon. Mais ce n’est pas le cas ici car l’auteur, malgré parfois des constats accablants sur la nature humaine avec son lot d’asservissement et de perversion, s’attarde davantage sur l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau, les solidarités existantes notamment et les espoirs que beaucoup cultivent même si on en parle moins. Cette foi en l’être humain est louable, idéaliste certes mais extrêmement touchante. L’émotion nous pénètre en profondeur, page après page avec l’effet d’un baume qui apaise et mobilise à la fois.
Il est beaucoup question d’amitié dans cet ouvrage, d’entraide, de résistance mais aussi de nostalgie des temps perdus avec une ode à l’enfance à l’occasion et la richesse des petites gens qui égalent et surpassent même les puissants. Pas d’effet lénifiant ou de populisme pour autant, l’évocation simple et directe de ces destins est d’une franchise confondante, il y a des passages quasi documentaires sur la vie d’un quartier ou l’évocation d‘un paysage qui replace l’être humain à sa vraie place, celle d‘une espèce intégrée dans son espace mais qui ne doit en aucun cas détruire pour son simple profit personnel. Des pages sont aussi très virulentes envers les méfaits de notre espèce avec notamment le sort réservé aux forêts et aux mers, les soutiens occidentaux envers certaines dictatures... écrit en 2000, ce livre est malheureusement toujours d’actualité.
Les amateurs de l’écrivain ne seront donc pas surpris, on est dans du Sepulveda pur jus que ce soit en terme de contenu ou de forme. L’écriture est toujours aussi séduisante, d’une simplicité et limpidité épatantes ce qui la rend d’autant plus percutante et évocatrice. Les différents récits se lisent sans aucun répit, emportés que nous sommes par ces historiettes aussi subtiles qu’addictives et qui incitent à rentrer en résistance et ceci plus que jamais quand on voit dans quel monde nous vivons. Un grand Sepulveda.
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Le Neveu d'Amérique
- Le Monde du bout du monde