"La Chance vous sourit" d'Adam Johnson
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L’histoire : Tour à tour grinçantes, bouleversantes, drôles et déchirantes, ces six novellas offrent au lecteur une nouvelle façon de voir le monde, s’imposant chacune comme un bijou de subtilité et d’intelligence.
On y croise notamment un ancien gardien de prison de la Stasi, qui reçoit devant sa porte d’étranges colis anonymes tout droit venus du passé ; deux déserteurs ayant fui la Corée du Nord et son régime totalitaire pour tenter de reconstruire leur vie à Séoul ; un homme en plein désarroi face à la grave maladie de sa femme, qui ressuscite à la vie sous forme d’avatar le président américain récemment assassiné afin de profiter de ses conseils ; ou encore un livreur UPS à la recherche de la mère de son fils de deux ans après que celle-ci a disparu en Louisiane lors du passage de l’ouragan Katrina...
La critique de Mr K : Un recueil de nouvelles venu tout droit d’Amérique aujourd’hui au programme de ma chronique avec La Chance vous sourit d’Adam Johnson paru en mars juste avant le confinement aux éditions Albin Michel et leur très belle collection Terres d’Amérique. Six textes composent le présent volume, six textes insolites ancrés dans des réalités très différentes et écrites avec brio, procurant par là même un plaisir de lecture qui monte crescendo.
On commence avec la nouvelle Nirvana qui tient son nom du groupe de Kurt Cobain qu’aime écouter la femme paralysée du héros narrateur. Ce dernier éprouve un désarroi profond face à cette situation et pour l’aider, il a fabriqué une machine lui permettant de créer un hologramme d’un président US décédé qui pourrait lui prodiguer des conseils. J’ai trouvé cet aspect SF finalement anecdotique, cette nouvelles se distingue surtout au niveau du traitement de la psyché torturée de cet homme désarmé face au destin et ses multiples questionnements sur son couple. C’est profond, l’émotion affleure rapidement pour ne plus lâcher le lecteur. On démarre très bien !
Dans Ouragans anonymes, un homme s’est vu confier son enfant par son ex dont il n’a plus de nouvelles depuis le passage de Katrina, l’ouragan terrible qui a dévasté toute une partie des USA. Pas des plus doués comme père, il s’efforce de retrouver la disparue à l’aide de sa nouvelle compagne et de son fils encore très jeune (2 ans). Ce texte est avant tout une belle réussite concernant la reconstruction des suites du drame météorologique qui est survenu et a bouleversé la vie de milliers de personnes. Des visions dantesques nous sont proposées ici et font échos aux désordres intérieurs qui habitent un personnage pas sûr de lui et de ce qu’il veut. Belle plongée encore cette fois-ci !
Dans Le Saviez-vous ?, la narratrice a un cancer et nous offre ses réflexions sur sa vie, son couple, le sexe et le travail d‘écrivain. C’est le plus intimiste de tous les récits et un de ceux qui marquent le plus le lecteur tant on pénètre dans l’esprit de cette femme condamnée dont le rendu psychologique est de haute volée. Pas de fioritures ou de faux semblants ici, mais le constat net d’une vie qui arrive à sa fin et provoque un retour sur soi nourrissant une réflexion intense. Cet écrit est assez bluffant et rude à la fois.
La nouvelle suivante, George Orwell était un de mes amis nous propose de suivre Hans, l’ex directeur d’un centre pénitencier de la Stasi est-allemande. Il reçoit d’étranges colis qui vont lui rappeler son passé, lui qui vit très bien avec et se concentre sur sa promenade quotidienne avec son chien depus que sa femme l’a quitté. J’ai adoré cette nouvelle pleine de faux semblants, de zones d’ombre que l’on occulte et qui ressurgissent quand on ne s’y attend pas. Il y a aussi des face à face fascinants ici entre bourreau et victimes, présent et passé. C’est mené de main de maître et la fin est un modèle du genre qui laisse le lecteur à genou. Bravo !
Prairie obscure est sans doute le texte le plus abrupt, le plus dérangeant du lot, c’est pour cela d’ailleurs qu’il est mon préféré. Je n’en dirais pas trop pour ne pas déflorer le contenu. Il y est question de cryptographie, de pédopornographie et de jardinage avec un personnage principal ambigu au centre du récit : Mr Rose. Les frontières du bien et du mal sont ténues dans ce texte, on est constamment sur le fil du rasoir comme le personnage principal, l’auteur se plaît à jouer avec nos nerfs tout en conservant l’analyse au scalpel de ses personnages comme il le montre depuis le début du recueil. Rien que pour cette nouvelle qui est vraiment brillante, ce livre mérite d’être lu !
L’ouvrage se termine avec la nouvelle éponyme La Chance vous sourit où l’on suit deux transfuges coréen du Nord depuis leur arrivée en Corée du sud. Très différents l’un de l’autre, ils ne réagissent pas du tout de la même façon. À coup de flash-back, de tranches de vie et quelques révélations bien senties, on s’oriente vers une fin surprenante qui arrache un sourire au lecteur.
Bel ouvrage vraiment que celui-là ! L’auteur s’y entend pour proposer des textes courts mais efficaces, où il exprime un talent indubitable pour proposer des personnages d’une grande complexité, aborder des thématiques pas évidentes et fournir au passage de belles réflexions sur l’être humain. L’écriture est une merveille de concision, de précision et explore les chairs et les âmes avec une justesse impressionnante qui achève de captiver le lecteur, emprisonné de ces pages aussi singulières que fascinantes. Un recueil de nouvelles qui fera date, je vous le dis ! Les amateurs ne doivent pas hésiter, foncez, vous ne le regretterez pas!