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Le Capharnaüm Éclairé
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20 mars 2020

"La Fabrique de la terreur" de Frédéric Paulin

L’histoire : Janvier 2011 : après l'immolation de Mohamed Bouazizi, jeune marchand ambulant poussé au désespoir par la misère et l'arbitraire, le peuple tunisien se soulève et "dégage" Ben Ali. C'est le début des "printemps arabes", et Vanessa Benlazar, grand reporter, est aux premières loges. Derrière la liesse populaire, la jeune Française pressent que cette révolution court le risque d'être noyautée par les islamistes, toujours prompts à profiter d'un vide du pouvoir. Bientôt, la chute de Khadafi, la guerre civile en Syrie et le chaos qui s'installe dans tout le Levant lui donnent raison : un nouveau groupe semble émerger peu à peu des décombres, venu d'Irak pour instaurer un califat dans la région ; un groupe dont la barbarie est sans limite, aux méthodes de recrutement insidieuses et modernes, et qui prône la haine de l'Occident.

 

À Toulouse, justement, Laureline Fell, patronne de l'antenne locale de la DCRI tout juste créée par Sarkozy, s'intéresse à un certain Merah, soupçonné de liens avec des entreprises terroristes. Mais les récentes réformes du renseignement français ne lui facilitent pas la tâche. Quand le pire advient, Fell comprend que la France n'est pas armée pour affronter ce nouvel ennemi qui retourne ses propres enfants contre leur pays : d'autres jeunes sont prêts à rejoindre l'État islamique, autant de bombes à retardement que Laureline, avec l'aide de Vanessa, va tenter de désamorcer.

 

La critique de Mr K : Voici un livre que j’attendais avec impatience car il clôture la trilogie de Frédéric Paulin consacrée au terrorisme, entamée par La Guerre est une ruse et Les Prémices de la chute. Dans La Fabrique de la terreur, l’action reprend où elle s’était arrêtée ou presque avec un roman qui verse dans le roman noir et l’Histoire immédiate, un roman engagé qui renvoie dos à dos les responsabilités de chacun dans un monde plus périlleux que jamais. Grande réussite une fois de plus à mettre à l’actif de cet auteur qui décidément étonne et détone dans le monde parfois un peu lisse de l’édition à la française...

 

L’action se déroule de 2011 à 2015. On suit les différents personnages déjà rencontrés dans les opus précédents et on en découvre quelques autres. Rangé des voitures, Tedj, ex agent de la DGSE désormais retiré à la campagne, a fort à faire avec sa fille Vanessa, devenue journaliste qui s‘intéresse de près au terrorisme islamiste comme lui en son temps. Investie dans son travail à l’extrême au détriment de sa vie de famille, elle va mener l’enquête, se rapprocher de vérités qui dérangent et mettre sa propre existence en danger. En parallèle, on suit Laureline, la compagne de Tedj, patronne d’une cellule de la DGSI qui traque sans relâche les apprentis terroristes ainsi que les fous de Dieu disséminés sur le territoire français et ailleurs. Mais au fil des mois et des années qui passent, sa foi en l’ordre Républicain vacillent de plus en plus face à une menace insidieuse insaisissable et qui frappe inexorablement sans que l’on puisse vraiment y faire grand-chose malgré les moyens déployés. On alterne entre les chapitres consacrés à ces personnages et de courts passages mettant en scène des personnalités islamistes tristement connues durant les phases préparatoires mais aussi des apprentis djihadistes lorsqu’il se font hameçonnés par les barbus et le terrible parcours qu’ils commencent à suivre. Inutile de vous dire que la tension est palpable durant tout l’ouvrage.

 

On retrouve tout le talent de l’auteur pour planter le contexte, les décors et les personnages. À travers les trajectoires de vies brisées qu’il explore, il rend compte avec finesse et un sens de la concision rare du phénomène de l’embrigadement de tout un pan de la jeunesse par des extrémistes. Loin de tomber dans l’exagération et la surenchère, il explique par l’implicite, le non-dit les origines de ce mal pernicieux qui nous ronge de l’intérieur. La pauvreté, l’échec scolaire, le rejet, les fractures mentales et sociales sont au cœur du problème. Cette vérité glaçante fait mal et Frédéric Paulin en rajoute une couche avec l’incapacité chroniques des gouvernements successifs à proposer de réelles solutions à cette frange de la population que son propre pays aliène. Une fois la graine plantée, la germination est accélérée et la suite est terrible avec des formations express, des voyages, la négation du bien et du mal et au final des actes de barbarie pure pris pour des actions de grâce. Naïveté, manipulation et lavage de cerveau sont ici explicités de manière simple et logique, en explorant les différentes strates du terrorisme depuis les agents de recrutements, aux camps d’entraînement et les filières d’Orient.

 

Cet ouvrage propose aussi en filigrane une critique non voilée des services secrets français et occidentaux dans leur globalité qui semblent désarmés parfois et dans l'impossibilité d’enrayer un phénomène qui prend de plus en plus d'ampleur. Incapables de s’adapter au nouveau monde (notamment le numérique et internet), les agents semblent devoir observer les faits, les constater sans vraiment pouvoir les arrêter. Bien sûr, des attentats sont évités de justesse, des hommes et des femmes arrêtés ou surveillés mais au final, le lent compte à rebours vers les attentats de 2015 ne s’arrête jamais et les deux chapitres finaux sont là pour enfoncer le clou définitivement. Économies de bouts de chandelle, informations non partagées, luttes intestines entre les différents services, ego surdimensionnés et une certaine mauvaise foi conduisent à l’horreur et aux actes que nous avons connu. Petite mention spéciale pour l’évocation des brigades ultra-secrète de la DGSE chargées de missions d’élimination et dont on ne parle étrangement jamais quand on évoque le sujet. Face à l’indicible, la République verse dans les opérations les plus moralement inacceptables pour tenter (en vain) de renverser la vapeur.

 

La Fabrique de la terreur oscille donc toujours entre éléments historiques, réels (la moitié des personnages voire plus existent ou ont vraiment existé) et une partie plus romanesque avec les personnages cités en début de chronique dont les existences sont ballottées par les événements qui font échos au fracas de leurs vies respectives, leurs espoirs mais surtout leurs échecs. Pas beaucoup de lumière dans cet ouvrage donc (comme dans les précédents d’ailleurs) mais un regard clair, sans faux semblants sur un phénomène qui aura marqué et marque toujours le début du XXIème siècle. On soufre donc énormément en compagnie de Vanessa, Tedj, Laureline, Simon, Wassim qui tous à leur manière portent leur croix, se sentent dévalorisés, mésestimés et vont selon leurs accointances devoir surmonter cela avec les moyens du bord. Pour le meilleur et pour le pire...

 

Remarquablement écrit comme toujours avec cet auteur, le roman se lit d’une traite et avec une appétence qui se renouvelle constamment. Très bien construit, très bien documenté, séduisant dans la forme malgré un fond terrible, l’addiction est immédiate et durable. Dans le genre, on fait difficilement mieux en terme de style, de portée et d’intelligence. La trilogie se termine donc parfaitement, le constat est implacable mais tellement nécessaire... comme cette lecture d’ailleurs !

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