"Confessions d'un enragé" de Nicolas Otero
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L’histoire : Fin des années 1970. Dans les rues de Rabat au Maroc, Liam, un petit garçon, est attaqué par un chat errant. Transporté d’urgence à l’hôpital, le diagnostic est sans appel : il a attrapé la rage. Gravement contaminé mais soigné à temps, Liam a frôlé la mort, mais sa vie s’en retrouvera changée à jamais. Hanté par le fantôme de ce chat, le jeune garçon va développer des capacités hors-norme, et une sauvagerie quasi animale...
La critique de Mr K : Très belle découverte que cette BD emprunté au CDI de mon établissement, chaudement recommandée par ma collègue documentaliste. Confessions d’un enragé de Nicolas Otero s’est révélé être une très belle expérience de lecture se situant à la confluence du récit initiatique et du fantastique sur fond de drame intime qui bouleverse une existence. Accrochez-vous, ça dépote !
Le petit Liam vit avec ses parents expatriés au Maroc, la vie est douce pour le jeune garçon : le soleil, les jeux et disputes avec son frère et une famille soudée. Lors d’une énième partie de football avec son frère, il va se faire griffer sévèrement au visage par un chat atteint par la rage. Envoyé en urgence à l’hôpital, une première injection lui sauve la vie mais le virus est en lui. Gardant une cicatrice au visage, il va surtout garder des séquelles de la maladie qui semble toujours dormir en lui. Dans ses cauchemars, la rage prend la forme du chat qui l’a agressé et avec qui il entame un long combat, de ceux que l’on mène pour garder la tête hors de l’eau, pour rester maître de sa vie.
Le récit après quelques planches d’exposition démarre fort. Nous découvrons l’histoire à travers les yeux de ce gosse de quatre ans qui au départ ne comprend pas grand-chose à ce qu’il lui arrive. L’équilibre cède la place à l’incertitude, l’incompréhension puis la peur. Ses parents, si rassurants, montrent des signes inquiétants, des bouleversements à sens uniques se produisent. La famille est obligée de rentrer en France, c’est pour le jeune garçon la nécessité de poursuivre un traitement radical et douloureux. Puis c’est le début de l’apprentissage de la peur. Car même s’il semble guéri, la maladie n’en a pas fini avec lui. Elle se matérialise alors en ce chat malade qui le poursuit et le menace. Le combat débute, les rounds s’ensuivent avec à chaque fois une défaite pour le jeune garçon qui voit sa vie s’effilocher à chaque coup de butoir. L’enfant cède la place à l’adolescent puis au jeune adulte avec les différentes phases de développement que cela implique. Déjà qu’en temps normal, ces époques de transition ne sont pas facile, avec cet handicap invisible, les marches à franchir sont très importantes voire dangereuses.
Ce n’est pas facile de narrer cela et Nicolas Otero s’y emploie avec talent et justesse. Fulgurant dans sa manière de raconter les choses, méticuleux dans son approche psychologique, le récit bien que très sombre est addictif et particulièrement réaliste malgré des éléments fantastiques qui peuplent cauchemars et hallucinations de Liam. La métaphore filée du chat malade, de ces vies multiples que l’on égraine au fil des épreuves marquent le lecteur dans sa chair, on prend de sacrées claques avec ce récit sans concession et pourtant très tendre par moment. L’auteur y parle d’un être fragile face à la maladie mais pas que. Il est question aussi de la famille, des rapports qui changent dans une fratrie ou dans le rapport que l’on entretient avec ses parents. C’est aussi l’éclosion de la sexualité, du rapport complexe que l’on noue avec l’autre avec parfois la lumière au bout du chemin même si rien ne semble jamais définitif ou sûr. On marche constamment sur des œufs avec un Liam qui se cherche, tombe souvent, doit se relever malgré tout et parfois se perd en chemin. L’empathie fonctionne à plein régime et l’on passe par nombre d’émotions contradictoires, le ventre se noue et l’on finit l’ouvrage littéralement sur les genoux avec un dernier acte d’une grande intensité.
Seul bémol, pour mieux expliquer la maladie, l’auteur introduit sur plusieurs planches au gré du déroulé, l’intervention d’un docteur spécialiste de la rage. Même si cet apport est nécessaire (et instructif par ailleurs), j’ai trouvé cela légèrement indigeste par moment, trop didactique. Pour autant cela ne gâche pas vraiment la lecture surtout que comme pouvez le voir sur les planches reproduites ici, l’ouvrage est de toute beauté. Un trait vif, un récit volontiers hargneux (pour ne pas dire enragé - sic -), des couleurs qui explosent la rétine malgré une tonalité globale très sombre achèvent de conquérir le cœur du lecteur prisonnier d’un récit aussi puissant qu’émouvant. Une très belle expérience que je vous encourage à tenter à votre tour.