"La Présidente" de François Durpaire et Farid Boudjellal
L’histoire : Et si le 7 mai 2017, d'une poignée de voix, Marine Le Pen était élue Présidente de la République ?
C’est l’effervescence sur les plateaux télé. Editorialistes, politologues, politiciens se succèdent, incrédules, pour relater les neufs premiers mois de ce mandat inédit.
Une plongée dans un futur incertain et chaotique.
La critique de Mr K : Je redoutais énormément cette lecture que j’ai repoussé de plusieurs semaines avant de trouver le courage de l’entamer. C’est au CDI de mon établissement que j’ai emprunté La Présidente de François Durpaire et Farid Boudjellal, le premier tome d’une trilogie qui a fait grand bruit lors de sa sortie. Cette dystopie glaçante et réaliste est très réussie et s’avère même prémonitoire quand on compare l’évolution qu’elle propose et celle que nous subissons depuis trois ans avec Micron Ier. Certes le fond est différent, nous n’avons pas affaire à un autoritarisme nationaliste mais plutôt ultralibéral mais certains moyens mis en œuvre se retrouvent dans les deux cas notamment une certaine forme de cynisme, de dédain institutionnalisé et surtout, l’usage de la force et de la répression. Inutile de vous dire que tout cela fait peur !
Les auteurs prennent donc le parti d’imaginer la victoire de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017. Face à un Hollande étrillé, un Macron absent (seul bémol sur la crédibilité de l’ensemble), la leader d’extrême droite accède au pouvoir et c’est le choc. À travers quatre personnages qui rentrent en résistance avec la création d’un blog, on suit les neuf premiers mois du mandat de la fifille à son papa qui fait entrer la France dans une nouvelle ère. Son installation au pouvoir, la constitution de l’équipe gouvernante et les premières applications sont décrites avec un luxe de détails et beaucoup de précisions en se basant uniquement sur le programme du FN rédigé pour la circonstance. Préférence nationale et sortie de l’Euro sont au cœur des tractations et la France change de visage.
On retrouve des têtes connues de la politique avec notamment des cadres du FN mais aussi des ténors de la droite "dite" forte qui n’hésitent pas à franchir le Rubicon et à s’allier à la nouvelle maîtresse de l’Élysée. Cela donne une belle brochette de réactionnaires et d‘arrivistes au pouvoir qui laissent libre court à leurs idées flirtant avec le parfum des années 30. Terminée la République égalitaire et protectrice, on rentre dans l’ère de la suspicion et de la morale rétrograde toute puissante. Parsemée de rappels sur l’origine du Front National, des événements clés de notre histoire (la guerre d’Algérie par exemple), des biographie des hommes et femmes qui se rallient à la Présidente, c’est aussi l’occasion pour les auteurs de se repencher sur la face sombre de notre Histoire. Les démagogues et xénophobes de l'époque ont eu des descendants idéologiques, plus présents que jamais aujourd'hui et ne guettant qu’une faiblesse pour pouvoir obtenir les clefs du pays. Cela fait froid dans le dos et donne à réfléchir.
En parallèle, on suit les réactions de la classe politique et des journalistes... Et là, la nausée monte très vite. À les entendre, c’est la faillite du système, de la gauche, on n’avait rien vu venir... Bref, personne ne se remet vraiment en cause à commencer par les ténors des médias qui aiment tant pourtant allumer des feux pour le buzz et exciter monsieur tout le monde. De mon côté, cela fait des années que je me tiens à l’écart de ces fidèles serviteurs du pouvoir macroniste et des extrémistes de tout poil (seul le Canard enchainé trouve grâce à mes yeux), cette ambiance délétère et criminelle envers notre République est très bien rendue une fois de plus. Et au final, même eux y trouvent leur compte même si des résistances s’organisent notamment dans la télévision et radio publique.
La rigueur narrative et contextuelle fait écho à un noir et blanc de toute beauté. Les dessins précis, factuels presque, donnent ses lettres à noblesse à une BD vraiment bluffante mais aussi consternante. Nous n’avons jamais été aussi proche de la catastrophe, je dirai même que nous y sommes avec un pouvoir actuel ne reculant devant aucun stratagème inique et même antidémocratique pour asseoir son autorité. Il prépare en cela admirablement le terrain à Le Pen et ses troupes. M’est avis qu’on a pas fini de trembler et que la République est réellement en danger. Je vais essayer de dégoter les deux tomes suivants pour poursuivre ce voyage uchronique aussi saisissant qu’essentiel. La Présidente est un ouvrage à lire !