"Le Cap" de Kenji Nakagami
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L’histoire : La terre avait commencé à grésiller. Un son à peine perceptible, semblable à un bourdonnement d'oreille. Toute la nuit durant, les insectes allaient continuer à bruire. Il pensa à l'odeur, la nuit, de la terre froide...
Ainsi commence Le Cap, qui en 1975 propulsa Nakagami parmi les grands noms de la littérature japonaise contemporaine. Tous ses livres se nourrissent du lyrisme mythique d'une terre prise entre les montagnes, les rivières et la mer : la péninsule de Kishû. Elle est au cœur de la vie d'une communauté d'exclus aux confins du Japon - celle où est né l'auteur -, d'une famille prise, de génération en génération, dans la complexité de liens consanguins, avec leurs obsédantes énigmes qui ne trouveront leur issue que dans le meurtre et l'inceste. Akiyuki, sous la force de désirs contradictoires et d'une sexualité à fleur de peau, pris dans le tourbillon des événements qui assaillent sa famille, accomplira un destin scellé vingt ans plus tôt.
La critique de Mr K : Petit voyage en terres nippones avec Le Cap de Kenji Nakagami, ouvrage sorti en 1975 au pays du Soleil Levant où cette parution a eu son petit effet. Il faut dire qu’on se rend tout de suite compte, dès que l’on parcourt les premières pages que l’on n’a pas affaire à un auteur japonais traditionnel. Langue épurée et frontale, on explore avec Nakagami les arcanes d’une famille dysfonctionnelle d’une communauté pauvre vivant dans la péninsule de Kishû, localité d’origine d’un auteur qui ne transige pas avec la morale générale et livre un portrait au vitriol d’une partie de ses concitoyens. Vous imaginez bien que j’ai aimé !
Ce très court roman (156 pages) tourne autour d’Akiyuki, un jeune homme de 24 ans qui bosse dans le bâtiment. Au fil des pages, on fait connaissance avec lui et surtout avec sa famille qui est plus que recomposée. En effet, sa mère a eu des enfants avec trois pères différents et son nouveau beau-père a lui-même eu une descendance d’un précédent mariage. Rajoutez là-dessus la marmaille de ses demi-sœurs et d'éventuels enfants que son père aurait eu avec d’autres femmes et vous obtenez une sacrée smala qui embrouille le lecteur. Heureusement, les éditions Picquier ont rajouté une liste de personnages en début d’ouvrage pour apporter une clarté bienvenue aux éléments complexes qui composent cette famille. Au bout de trente pages, on se fait très vite aux patronymes et l’on commence la lente exploration de ces âmes torturées.
Dans ce monde, on plonge dans le quotidien de gens du peuple, très simples qui n’ont vraiment pas la vie facile. Ouvriers du bâtiment, femmes au foyer, prostituées peuplent ce livre et tentent de survivre chacun à sa manière. Cela donne des pages âpres qui ouvrent des fenêtres sur un quotidien plutôt méconnu de ce pays : les galères financières, la dureté des conditions de travail, la pauvreté et le désespoir même parfois transpirent de ces pages qui marquent le lecteur durablement. On ressent très vite un malaise grandissant, une impression que toute cette affaire va mal finir dans ce lieu quasi paradisiaque où l’homme doit s’échiner à gagner sa vie.
L’ouvrage est surtout prétexte à nous conter la chronique d’une famille haute en couleur. Les difficultés matérielles évoquées auparavant ne sont que la partie visible de l’iceberg. Les secrets sont nombreux au sein de la cellule familiale, ce qui démultiplie les souffrances de chacun, les non-dits s’accumulent et avec eux les tensions. Ressentiment, frustration, espoirs douchés se conjuguent, font monter la pression et vont faire bouger les lignes dans un final qui fait froid dans le dos. Violence, crises existentielles, folie et mort se donnent rendez-vous et l’on n’en sort pas indemne. Avec finesse et jusqu’au-boutisme, l’auteur nous offre une analyse jubilatoire des rapports à l’autre au sein de la famille et propose une vision bien pessimiste mais tellement réaliste.
Le Cap se lit quasiment d’une traite malgré un contenu rude, à la limite de la décence parfois. Le récit conserve toujours une certaine élégance, l’âpreté cachant des trésors d’humanité dans ce qu’elle fait de mieux et de pire d’ailleurs et ménage un suspens qui devient presque insoutenable dans le dernier acte. Certes ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains mais il vaut le détour et détonne un peu dans le panorama littéraire japonais. Une petite pépite que je vous conseille de découvrir si vous avez le cœur bien accroché !