"Abattoir 5" de Kurt Vonnegut
L’histoire : Abattoir 5 retrace l’histoire de Billy Pélerin, né à Ilium en 1922. Appelé sous les drapeaux pendant la seconde guerre mondiale, il est capturé par les allemands et fait prisonnier dans un camp à Dresde. Démobilisé en 1945, il devient opticien, passe une petite dépression nerveuse dans un hôpital militaire, puis se marie, a bientôt deux enfants et fait fortune. De retour d’un congrès d’opticien il est victime d’un accident d’avion, tous les passagers périssent sauf lui. Pendant qu’il est à la clinique, sa femme meurt. Il ne reprend pas son activité en sortant de l’hôpital mais va tout droit à New York. Là, il participe à une émission de radio où il révèle avoir été enlevé par une soucoupe volante en 1967 et amené de force sur la planète Tralfamadore. Objet de spectacle, montré nu dans un zoo, les trafalmadoriens le feront s’accoupler avec une terrienne, ancienne actrice de cinéma, elle-même kidnapée, avant de le relâcher. De retour sur terre, il comprend que les années qu’il a passé sur Trafalmadore n’ont été chez lui que quelques secondes. Bien sûr, Billy ayant atteint l’âge de quatre-vingt six ans, tout le monde est persuadé qu’il a définitivement perdu le sens des réalités et que la sénilité avance à grands pas. Mais Billy insiste pour remonter dans le passé et raconter son histoire, notamment sa vie de soldat et, ce faisant, il ne va plus cesser alors d’effectuer des sauts dans le temps, évoluant et vieillissant, ou régressant vers son enfance.
La critique de Mr K : Cela faisait un petit bout de temps qu’Abattoir 5 de Kurt Vonnegut prenait son mal en patience dans ma PAL. Trouvé par hasard lors d’une expédition chinage de plus, j’avais été ravi de le dégoter en seconde main car ce livre a une aura particulière chez de nombreux amis internautes. Il est même considéré comme un classique bien que quasiment inclassable dans son contenu, l’ouvrage se situant à la confluence du récit de guerre et de la SF. C’est lors de ma réorganisation de PAL de cet été que ce dernier s’est rappelé à moi et j’ai franchi le pas quelques semaines plus tard. À la fois désarçonnant et touchant, je n’ai vraiment pas été déçu !
À travers une narration destructurée, l’auteur nous invite à suivre la vie plus que mouvementée de Billy Pélerin, son double fictif. En effet, ce dernier a de nombreux points communs avec l’auteur à commencer par un emprisonnement durant la seconde guerre mondiale et l'expérience traumatisante qui l’accompagne : la captivité puis la destruction injustifiable de la ville de Dresde par les alliés. Survivant de cet événement tragique, devenu simple opticien, enlevé par des extra-terrestres, rescapé d’un crash aérien, il est capable de voyager dans le temps. Le futur de Billy fait déjà partie de son passé et il lui reste à vivre des événements dont il garde déjà le souvenir...
Le lecteur navigue à vue avec d’abord un choix de narration original qui fait mouche. Il ne faut pas longtemps pour se mettre au diapason je vous rassure et l’on passe allégrement par toutes les époques qu’a pu ou va vivre Billy. Les études avortées par l’envoi au front, la captivité, le retour à la vie normale, l’expérience du rapt intersidéral ou encore ses témoignages radiophoniques sont autant de tranches de vies qui ont été comme mixées et réorganisées à la manière du Pulp Fiction de Quentin Tarantino. Il faut cependant un petit temps pour que le stratagème employé prenne tout son sens mais la révélation est vraiment éclatante et la curiosité ne se dément pas tout au long de la lecture pour savoir où tel ou tel paragraphe va nous mener. Très didactique, jamais obscur, l’ouvrage propose vraiment une autre façon de lire sans jamais provoquer l’ennui ou le désintéressement.
Abattoir 5 est aussi pour moi un grand cri contre la connerie humaine et plus particulièrement la guerre et les crimes qui l’accompagnent. Les souvenirs liés à la captivité composent bien la moitié de l’ouvrage et proposent une plongée sans concession sur l’atmosphère et les conditions de vie des prisonniers. C’est très réaliste, volontiers ironique à l’occasion, très intimiste parfois avec des passages d’une puissance évocatrice qui prend à la gorge. Cet amoncellement de souvenirs a été calqué sur les témoignages des survivants qui se révélaient bien souvent parcellaires et discontinus. L’effet est vraiment saisissant et propose un voyage aux confins de l’absurdité pour une guerre sans véritables héros, des sociétés perdues et au final un constat implacable sur l’Homme.
En terme d’écriture, on ne fait pas ici dans la fioriture. Chaque mot et phrase est pesé, sans atermoiements inutiles, on va à l’essentiel et cette apparente naïveté stylistique ne fait que renforcer la force de ce pamphlet antimilitariste à la fois juste et mesuré. Un roman culte qui mérite amplement ce qualificatif, une expérience de lecture différente et vraiment indispensable. À bon entendeur...