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Le Capharnaüm Éclairé
15 décembre 2019

"Le Monde à l'endroit" de Ron Rash

le monde

L’histoire : Chaparder des plants de cannabis, rien d’extraordinaire pour Travis Shelton. Cette fois, le père Toomey le prend en flagrant délit et le lui fait payer. Le gamin ne se came pas ; il n’a pas mauvais fond, juste envie de tailler la route. Fuyant l’humiliation paternelle et un présent étriqué, il croise celle de Léonard. Ce prof aux leçons décalées pourrait l’aider à remettre son monde à l’endroit.

La chronique de Mr K : Sacrée claque que cette lecture effectuée en un temps record et qui risque de me trotter longtemps dans la tête tant elle m’a fasciné et régalé. Le Monde à l’endroit de Ron Rash nous propose un voyage éprouvant au cœur d’une Amérique profonde, où le destin de chacun paraît implacable et où l’espoir de s’en sortir est parfois bien mince...

Travis est ce que l’on peut appeler un "petit con". Fils d’un agriculteur bien bouseux qui le destine à prendre sa suite, il traîne sa flemme et son refus de l’ordre établi. Avec ses potes, il zone, picole, rêve aux filles et parfois va pêcher des truites dans une rivière voisine. C’est lors d’une expédition de ce type qu’il tombe sur la plantation illégale de cannabis du vieux Toomey. Il voit l’occasion de se faire un max de blé avec peu d’efforts et coupe quelques pieds qu’il revend à Léonard, un ancien prof déchu devenu dealer de dope. L’argent facile est tellement séduisant... Travis retourne plusieurs fois sur les lieux, grisé par sa réussite première. Bien mal lui en prend, il finit par se faire chopper par les Tomey qui vont le marquer à vif pour lui faire passer l’envie de recommencer.

Craignant l’ire paternelle et souhaitant rompre avec son ancienne vie, il emménage chez Léonard devenu pygmalion presque malgré lui, les choses s'étant faites sans vraiment réfléchir, instinctivement, naturellement même. Le temps s’écoule donc entre reconstruction de soi, quête d’un passé local et effroyable longtemps enfoui, amour naissant et peut-être une porte de sortie grâce à l’obtention d’un diplôme pro, lui l’ancien élève de lycée parti avant la fin du cycle. Tout pourrait aller pour le mieux si les anciens démons ne pouvaient pas se réveiller... le dernier acte de ce récit sera jusqu'au-boutiste et d’une logique implacable.

Tout est contraste dans cet ouvrage. Ainsi les rapports humains décrits sont un savant mélange d’humanité pure et de violence larvée qui peut ressurgir au détour du moindre chapitre. Léonard, Travis et Dena forment à leur manière une petite famille dans ce mobilhome planqué au milieu de nulle part. Chacun a fui une réalité difficile et compte sur les autres même si personne ne l’avouera jamais. Il y a de la pudeur, de la douleur et de la joie dans l’évocation de ces destins brisés. On ne peut qu’éprouver de l’empathie pour Léonard injustement viré de son poste d’enseignant et qui par la même occasion perd sa femme et sa petite fille. Dena, une junkie obsédée par sa dose de Quaalude n’est pas mal non plus dans son genre, elle concentre en elle toute la misère faite aux femmes et la douloureuse et lente reconstruction qu’elles peuvent essayer d’entamer. Et puis, il y a Travis en manque de repères (surtout l’image du père qui tour à tour est symbolisée par son géniteur, son bourreau puis Leonard) qui se raccroche à ce qu’il peut et qui tend vers un avenir meilleur malgré les difficultés.

Dur dur cependant d’y parvenir dans un monde sans pitié, où les occasions sont rares de se faire une place au soleil. Et pourtant, petit à petit les choses semblent s’arranger, pas après pas, le jeune reprend confiance en lui, travaille d’arrache pied et touche du doigt quelque chose qui quelques mois auparavant lui paraissait impossible. Cela donne de très belles pages du type roman d’apprentissage, initiatique, même lors des échanges qu’il peut avoir avec Leonard ou encore avec sa petite copine qui l’ouvrent à d’autres horizons. Mais il suffit d’un rien pour que l’être bascule et un petit faux pas peut détruire le plus beau des édifices, et Travis n’est pas au bout de ses peines.

En filigrane, Ron Rash nous parle du poids du passé, de son impact sur le présente et des conséquences parfois importante d’un élément qui ressurgit du lointain. Entre chaque chapitre, on trouve des extraits d’un mystérieux registre tenu par un médecin de campagne durant la Guerre de Sécession. Au début, on se demande bien ce que ça vient faire là mais au fil du déroulé, on se rend compte que la petite histoire rejoint la grande et qu’une vérité va se révéler et bousculer les événements. C’est extrêmement bien mené, très fin et surtout cela n’épargne personne. On est donc bien loin du manichéisme, chacun devra compter ses morts et accepter ce passé encombrant et pourtant fondateur.

Et puis, il y a la superbe évocation des lieux, de la nature avec de très belles pages sur les joies de la pêche en milieu sauvage, du réconfort que procure la nature à une âme esseulée cherchant le calme, la sérénité pour une introspection nécessaire. C’est beau tout simplement, on se laisse bercer par ces moments d’accalmie après et avant la tempête qui peut se lever à n’importe quel moment avec les antagonistes présents dans l’ouvrage. Tout cela est remarquablement servi par la langue très agréable de l’auteur, à la fois fine, élégante et accessible. On se laisse porter par un plaisir de lecture intense, magnifié par une trame prenante et déstabilisante parfois. On referme Le Monde à l'endroit heureux de cette expérience intense et jubilatoire. Une sacrée lecture, je vous avais dit !

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Commentaires
V
ah Ron Rash! Tu utilises des mots très convaincants ;) et je ne connais pas (encore) ce roman ! Moi j'avais adoré Un pied au paradis
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