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Le Capharnaüm Éclairé
4 septembre 2019

"À l'état libre" de Neel Mukherjee

neel

L’histoire : Un père décide de faire découvrir à son jeune fils de six ans son pays natal, l'Inde.
Une femme, employée comme cuisinière à Mumbai, est animée par une ambition surprenante. Un villageois abandonne tout pour mener une vie de vagabond, accompagné d'un ours qu'il dresse pour gagner de quoi survivre.
Une jeune fille fuit son village ravagé par la guérilla maoïste et trouve refuge dans une grande ville.
Les tentatives des personnages de ce roman pour échapper à leur destin renvoient toutes à un des enjeux majeurs de notre siècle, celui du déplacement des populations en quête d'une vie meilleure.

La critique de Mr K : À l’occasion de cette rentrée littéraire, c’est à mon tour de me frotter à Neel Mukherjee avec son dernier né tout juste sorti aux éditions Piranha : À l’état libre. Nelfe avait lu et beaucoup aimé du même auteur La Vie des autres édité en 2016, roman qui l’avait marquée par sa description sans fard d’une Inde sur laquelle on fantasme parfois beaucoup sans avoir conscience de la réalité quotidienne vécue par la plupart de ses habitants. Lu en un temps record tant on est très vite happé par le contenu, À l’état libre fascine, interroge et révolte.

Par le biais de quatre destins tour à tour contés, l’auteur se propose dans cet ouvrage d’aborder une thématique centrale de notre époque : la liberté. Celle de partir, de se chercher une vie meilleure, de choisir son destin et de se construire un avenir digne. C’est ainsi que dans le premier récit, un père retourne en Inde, lui l’exilé aux States, pour faire découvrir à son jeune fils le pays de ses origines. Dans le second texte, une femme se bat pour maintenir son niveau de subsistance, simple cuisinière, on explore son quotidien, les sacrifices qu’elle doit faire pour les siens. Le troisième texte voit un villageois qui décide de partir de son village avec un ourson qu’il a dressé pour gagner sa vie. Enfin, l’ultime récit met en scène une jeune fille qui quitte son village pour tenter sa chance à la ville comme bonne à tout faire, échappant par là même aux tensions qui minent son village. Chaque destin raconté est une fulgurance, un éclair qui déchire le ciel et mène le lecteur loin, très loin dans un pays si proche et si éloigné à la fois. Bien que pouvant se lire indépendamment les uns les autres, les quatre récits se complètent et il arrive même que l’on croise quelques personnages communs.

La grande force de ce roman est sa capacité à immerger son lecteur dans un pays à la fois hypnotisant et repoussoir. C’est bien simple, on partage au sens propre l’existence de chacun, on vit les événements par procuration avec une force d’immersion peu commune. Ainsi j’ai voyagé en car à travers de vastes étendues en quête d’une place pour subvenir aux besoins de ma famille, j’ai visité des marchés hauts en couleurs où les flagrances les plus diverses se mêlent et où l’on croise nombre de personnes interlopes, j’ai subi les foudres de patrons injustes qui m’exploitent jusqu’à la moelle, j’ai choisi la voie maoïste pour lutter contre le capitalisme libéral, j’ai perdu mes parents, je me suis marié, j’ai fait des enfants... Bref, j’ai vécu mille vies à travers les yeux de personnages remarquablement caractérisés évoluant dans un univers totalement différent du mien. On s’attache fortement à eux et l'on vit à 100% les événements relatés.

Dépaysement garanti donc avec au final des sentiments mêlés qui suscitent des impressions contradictoires. On est fasciné par les couleurs, la nourriture (dès qu’on parle à mon ventre, moi...), les solidarités entre gens du peuple, la culture et la force de la foi. Chaque acte de la vie quotidienne a son importance, sa symbolique et même sans ajouts culturels ou sans précisions de bas de page, on prend conscience de la richesse de ces vies pourtant démunies. C’est là qu’on se prend en pleine tête la réalité d’une Inde pauvre, cloisonnée voire injuste. Le système des castes qui aliène une bonne partie de la population, l’extrême pauvreté de certains qui ne possèdent strictement rien, le machisme ambiant avec le pendant du caractère essentiel des femmes dans le bon fonctionnement des cellules familiales et sociétales, les vendettas familiales ou religieuses... autant d’éclats narratifs ou descriptifs qui enfoncent le clou pour produire un portrait réaliste et sans concession de la plus grande démocratie mondiale.

Nelfe avait qualifié l’ouvrage précédent d’exigeant, je la rejoins totalement. L’écriture est dense, les descriptions longues et clairement ce livre se déguste avec lenteur et plaisir. Cet effort premier est largement récompensé par une expérience de lecture unique en son genre qui propose un voyage dépaysant et source de réflexion. Tout ce que j’aime ! On ressort ébranlé mais heureux d’avoir partagé ces destins contrariés mais néanmoins inspirants. Un bien bel ouvrage que je vous invite à découvrir au plus vite.

Egalement lu et chroniqué du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- La Vie des autres

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