"Jolis jolis monstres" de Julien Dufresne-Lamy
L’histoire : Certains disent qu’on est des monstres, des fous à électrocuter. Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme. Les plus jolis monstres du monde.
Au début des années sida, James est l’une des plus belles drag-queens de New York. La légende des bals, la reine des cabarets, l’amie fidèle des club kids et des stars underground. Quand trente ans plus tard il devient le mentor de Victor, un jeune père de famille à l’humour corrosif, James comprend que le monde et les mentalités ont changé.
La critique de Mr K : Julien Dufresne-Lamy est un auteur que j’affectionne beaucoup (voir liste des chroniques en fin d’article). Alternant œuvres jeunesse et littérature contemporaine, c’est dans cette deuxième catégorie que s’intègre Jolis jolis monstres, tout juste paru dans le cadre de la rentrée littéraire 2019 et qui invite le lecteur à un voyage livresque aussi étonnant que détonant dans le monde interlope des drag-queens. Accrochez-vous, ça va secouer !
Nous suivons James (aka Lady Prudence) à travers son parcours depuis son Atlanta natale à son installation à New York. Issu d’une famille au patriarche violent, recueilli et aimé par sa tante qui périt de façon subite, voila notre héros plongé dans un monde tout nouveau pour lui : celui de la nuit, des créatures fabuleuses, du strass, de la fête mais aussi parfois du rejet et de la haine. En parallèle, nous suivons la mue de Victor, un jeune père qui se découvre une attirance et un goût pour le travestissement. Ces deux là étaient fait pour se rencontrer !
Mixant à merveille le romanesque avec un aspect quasi documentaire, l’ouvrage fascine et passionne. Ce roman présente tout d’abord deux beaux parcours de personnages, loin des clichés rabattus et très dynamiques. C’est bien simple, on prend très vite fait et cause pour ces deux écorchés de la vie qui se cherchent. Très fin dans son approche psychologique, dans la caractérisation globale, l’auteur nous touche en plein cœur avec ces parcours atypiques qui se sont fait parfois dans la souffrance extrême. Il y a évidemment le besoin d’assumer sa différence dans une Amérique très puritaine, la quête de son identité sexuelle avec son lot de révélations et de déceptions, la vie aussi qui amène avec elle son lot de grandes joies mais aussi de chagrins. Peuplé d’êtres d’exception, de grandes figures de la fête et de la nuit, ce roman nourrit grandement l’imaginaire, casse les codes et recontextualise à merveille le phénomène des drag-queens qui au départ n’est pas forcément quelque chose qui m'intéresse plus que cela...
Mais voila, Julien Dufresne-Lamy est malin et plonge ses deux protagonistes principaux dans des faits qui se sont vraiment déroulés et qui croisent / cohabitent avec des personnes ayant réellement existées. La fiction est alors rattrapée par les faits historiques, les avancées de la cause et la description d’un monde de la nuit haut en couleur où l’on peut croiser des figures connues comme Madonna ou Warhol. Cela donne de merveilleux passages qui retranscrivent avec justesse les soirées drag, le rapport des "filles" entre elles, la quête esthétique et artistique de leurs numéros, les fameux bals où on élit des gagnantes par catégories. Moins enthousiasmant mais tout aussi remarquablement traité, les années SIDA avec un fléau terrible qui s’abat sur les communautés gays et transgenres, le héros voyant nombre de ses connaissances et amis partir trop tôt. J’ai aussi beaucoup apprécié les scènes plus intimistes où les personnages se questionnent, se confient. On a bien souvent le cœur au bord des lèvres car on imagine le calvaire vécu par certains à cause d’un contexte familial rétrograde et une société qui a du mal à accepter les différences. Là encore, on retrouve cette plume sensible capable de caractériser et de décrire des événements et éléments clefs sans tomber dans l’exagération ou l’effet de manche. Tout ici est juste, facilitant l’empathie et la réflexion.
L’accroche est donc immédiate, dès les premiers chapitres on est emporté par ce récit enlevé et passionnant. La langue tout en finesse, le croisement des points de vue et le parcours des personnages tiennent en haleine jusqu’au bout et l’on se nourrit d’un contenu qui porte haut le droit à la différence et à la compréhension de l’autre même s’il est différent. Procurant des sensations multiples et variées (du rire au larme, c’est dire !), dévastateur dans ces effets secondaires, Jolis jolis monstres est un plaisir de lire assez unique. Voila un roman qui marque son lecteur pour longtemps et que je ne peux que vous conseiller.
Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Boom
- Les Indifférents
- Les Étonnantes aventures du merveilleux minuscule Benjamin Berlin