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Le Capharnaüm Éclairé
28 août 2019

"Le Terroriste joyeux" de Rui Zink

L’histoire : Mesdames et messieurs, circulez,
Il n’y a rien à voir
Tout est sous contrôle.

 

Un dialogue. Deux personnages : un présumé terroriste face au policier qui l’interroge. Le premier est cueilli à la frontière, à sa descente de l’avion, transportant des explosifs. Sa défense : il n’a fait que les transporter pour son cousin, en échange d’un peu d’argent. Les autorités n’avaient qu’à lui demander de remplir préalablement un formulaire ! Le ton est donné.

 

Au fil de l’interrogatoire, le doute s’installe, un glissement insidieux se produit, les rôles se défont : il n’y a plus un terroriste et un policier, mais simplement deux hommes. Et dans un système qui prône la suspicion, la méfiance et la haine de l’autre, le sort de ces hommes n’est peut-être pas si différent...

 

La critique de Mr K : Après L’Installation de la peur de Rui Zink qui m’avait fait forte impression à la rentrée littéraire 2016, l’auteur récidive avec la maison d’édition Agullo avec Le Terroriste joyeux, un court ouvrage d’une centaine de pages qui se lit encore une fois d’une traite. À noter qu’une courte nouvelle Le Virus de l’écriture a été adjoint en fin d'ouvrage et complète admirablement les propos du texte éponyme. On retrouve ici les thématiques chères à l’auteur avec un ton grave mais très ironique à la fois : course à la sécurité, le vernis des apparences, le terrorisme et la violence d’État sont au programme d’un ouvrage qui fera date à mes yeux.

 

Dans un lieu inconnu et durant une époque indéterminée, un présumé terroriste et son interrogateur s’affrontent. Durant l’interrogatoire, le policier cherche à connaître les motivations et raisons profondes qui meuvent l’homme qu’il a en face lui. Très vite, on se rend compte que la partie ne sera pas facile car le dialogue qui s’instaure vire à la farce avec des réponses ubuesques du futur condamné qui mettent à mal les certitudes et l’argumentaire du bourreau. Un glissement s’opère, deux esprits se rencontrent finalement et vont se heurter, se rapprocher et même au bout d’un moment trouver des points communs qui les rapprochent. Derrière ce cas particulier, c’est une belle parabole que l’auteur nous propose.

 

Au delà de la confrontation de ces deux personnages, c’est un portrait sans concession de notre époque qui est pour l'occasion passée au vitriol. Derrière un cas bien poussé autour de la thématique du terrorisme et de l’ultra-sécurisation de nos sociétés qui a suivi la vague terrible d’attentats de ces dernières années, l’auteur dénonce une forme de méfiance généralisée qui s’est installée, pervertissant les notions de liberté, de droits d’expression et de principes démocratiques. Face à des menaces réelles qu’il faut juguler, les États de droits ne le sont plus que de nom, lois et mesures exceptionnelles ayant pris le pas sur une législation pensée, réfléchie et équilibrée. Le dialogue entre ces deux personnes que tout oppose au départ va mettre le doigt là où ça fait mal, relever en filigrane les faiblesses et les abus des mesures mis en place. D’une grande finesse d’analyse, renvoyant dos à dos les extrémistes de tout bord, c’est une certaine forme d’humanisme qui est mis à mal et Ubu n’est pas loin parfois. La farce est ici tragique, redoutable mais aussi de bon aloi pour dénoncer les abus quels qu’ils soient.

 

Le deuxième récit nous présente une humanité livré à un virus qui transforme le péquin moyen en écrivain de talent. Derrière cette maladie qui a l’air plutôt positive, chacun devenant finalement un artiste, se pose la question de la lecture et du libre-arbitre mis en danger par ce phénomène hors norme. La résistance doit s’organiser mais qu’il est dur de se battre contre des forces qui nous dépassent, surtout que plus rien ne fonctionne correctement vu que tout le monde écrit (sic). La réflexion est ici très intéressante car à travers le prisme d’un crise sanitaire étrange se révèlent en sous texte les défauts d’une humanité toujours plongée dans le tout tout de suite sans réelle réflexion sur soi. Ce court texte d’une dizaine de lignes est drôlement malin, ingénieux dans son thème et dans sa forme.

 

L’auteur de L’Installation de la peur nous livre donc ici deux textes fabuleux dans leur genre, très originaux et qui abordent sans détour des aspects essentiels de l’évolution récente de nos sociétés. Très abordable, sans tomber dans la surenchère ou dans la théorie absconse, chacun y trouvera matière à réflexion, à drôlerie parfois et à indignation. Un petit volume fort plaisant à lire et source de réflexion.

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