"L'Incal" - intégrale - de Jorodorowsky et Moëbius
L'histoire : Dans un futur lointain, une autre galaxie ou un autre espace-temps, l'Incal et l'immense pouvoir qu'il confère exacerbent toutes les convoitises. John Difool, minable détective de classe R adepte d'homéoputes et de bon ouisky se retrouve embarqué malgré lui dans cette course à l'Incal. Il aura affaire à des mouettes qui parlent, des extraterrestres idiots, un empire dictatorial ultra violent, des rats de 15 mètres commandés par une déesse nue, une bataille mémorable dans une fourmilière, une secte adepte des trous noirs, et enfin une bataille intersidérale entre le bien et le mal.
La critique de Mr K : Pour ceux qui nous suivent depuis un certain temps, vous savez que je suis friand de SF et d’auteurs que je considère comme des demi-dieux notamment Jodorowsky et Moëbius. Mais voila, malgré tout l’amour que je leur porte, je l’avoue et le confesse, je n’avais jamais lu la série de l’Incal ! Booouuuu, honte à moi ! Le tort est réparé désormais car, il y a déjà quelques temps, j’ai offert à ma douce Nelfe la présente intégrale qu'elle avait déjà lu et adoré il y a quelques années, et ces vacances d’été étaient l’occasion idéale pour plonger dans les aventures rocambolesques de John Difool. Je peux déjà vous dire que je n’ai pas été déçu !
Modeste détective de classe R, on retrouve John Difool en fâcheuse posture dès la première planche : il est en train de tomber dans le vide et la mort se rapproche à vitesse grand V sous la forme d’un lac d’acide au dessus duquel est construit la ville futuriste où il réside. Le ton est donné donc dès le départ et ça ne va pas s’arranger. Très vite, un mystérieux artefact (le fameux Incal) le choisit pour mener une nébuleuse mission attirant sur lui des convoitises multiples. Traqué, passant son temps à s’enfuir, rencontrant des compagnons pour le moins inattendus, vivant des expériences hallucinantes, John n’est pas au bout de ses peines et son existence banale prend alors une dimension beaucoup plus importante dans la marche du monde, il se pourrait bien qu’il puisse même... sauver l’univers !
Dès le départ, on se prend d’affection pour John, genre de détective un peu raté, vivant d’expédients, d’homéoputes et de cigarettes hallucinatoires entre deux affaires et quelques règlements de compte avec des types des bas fond. Très attachant par son détachement, son inconséquence, son côté has been et son caractère, on aime suivre ses pérégrinations qui bien que sérieuses ne sont pas tristes avec notamment ses réactions parfois ubuesques et complètement à côté de la plaque. Il va peu à peu évoluer (mais un peu seulement...) au contact de l’Incal, prendre conscience de vérités cachées et va même participer à une espèce de prophétie ! Vous l’avez compris, la patte Jodorowsky est à l’œuvre, le scénario classique des débuts vire à partir de la quatrième partie à l’aventure initiatique mâtinée de mysticisme et d’onirisme. Pour avoir assister à une conférence du maître aux Utopiales en 2011, je peux vous dire que ça dépote et que l’on va loin, très loin dans l’exploration mentale des personnages en lien direct avec la déréliction du monde.
D’une grande densité et cohérence, le monde futuriste qu’on nous propose est de toute beauté, magnifié par les dessins de Moëbius. On explore les villes, mondes et terres désolées, planètes et espaces mentales avec une facilité déconcertante entre étonnement, ravissement et même angoisse. Derrière ces tribulations distrayantes, en filigrane apparaissent des thématiques très contemporaines qui font souci : le recul de la nature face à la technologie et la course à la croissance de l’homme, la mise sous perfusion médiatiques des masses par un pouvoir central corrompu et obsédé par la conservation de ses avantages, la méfiance généralisée envers tout ce qui est différent et la policiarisation de la société ou encore, le recul du spirituel face au matérialisme forcené nourrissant les illusions d’un bonheur factice... Pour beaucoup de thèmes, on sent les auteurs en avance sur leur temps (les prémices de la chute étaient déjà en germe) et la vision proposée est d’une grande justesse et interpelle encore le lecteur en 2019. Quel bonheur de conjuguer à la fois divertissement et réflexion avec en prime des questionnements qui font écho à nos propres interrogations existentielles. Délectable !
Background très poussé, personnages variés avec chacun une caractérisation profonde, des rebondissements nombreux et souvent surprenants, avec L’Incal on est constamment sur le qui-vive car tout semble pouvoir arriver. Un tout petit bémol, j’avais plus ou moins deviné le rebondissement final mais je dois avouer que Jodorowsky avait livré quelques éléments de sa pensée lors de la conférence à laquelle nous avions assisté. Cela n’a pas gâché mon plaisir entre planches d’une grande beauté, dynamisme des dessins et du scénario, plongée dans une mystique aussi fascinante que délirante et au final, un cycle qu’on oublie pas. J’ai mis le temps pour la découvrir mais Dieu que c’était bon ! On en redemande !