"L'Équation africaine" de Yasmina Khadra
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L’histoire : A la suite d'un terrible drame familial, et afin de surmonter son chagrin, le docteur Kurt Krausmann accepte d'accompagner un ami aux Comores.
Leur voilier est attaqué par des pirates au large des côtes somaliennes, et le voyage "thérapeutique" du médecin se transforme en cauchemar. Pris en otage, battu, humilié, Kurt va découvrir une Afrique de violence et de misère insoutenables où "les dieux n'ont plus de peau aux doigts à force de s'en laver les mains". Avec son ami Flans et un compagnon d'infortune français, Kurt trouvera-t-il la force de surmonter cette épreuve ?
La critique de Mr K : Entamer la lecture d’un Yasmina Khadra, c’est toujours un moment à part et la certitude d’entrer dans un monde rude et sans fioriture avec une écriture d’une grande finesse et emplie de sagesse. L’équation africaine m’avait échappé jusqu’à ce qu’il s’offre à mes yeux lors d’un chinage de plus. Très bonne lecture une fois de plus même si j’émettrai un petit bémol qui m’a empêché de considérer cet ouvrage comme son tout meilleur, c’est qu’à force de pratiquer et d’adorer les romans d’un auteur, on devient difficile...
Kurt est un médecin généraliste allemand, l’histoire commence par un drame épouvantable qui voit le héros perdre sa femme dans des conditions tragiques. Veuf et inconsolable, il perd de sa superbe, s’interroge beaucoup sur le sens à donner à son existence, tout lui paraît désormais fade et l’appétit de vivre semble l’avoir quitté. Il recroise à l’occasion de l’enterrement, un vieil ami qui a réussi dans l’industrie et consacre désormais son temps dans l’humanitaire. Il lui propose de l’accompagner lors d’une de ses missions dans un pays défavorisé et malgré son scepticisme, Kurt décide de le suivre. Le sort semble s’acharner sur le pauvre homme, lors du passage en voilier du golfe d’Aden, voila les deux allemands attaqués puis enlevés par une troupe de pirates somaliens. Commence alors le récit d’une expérience traumatisante qui va marquer à jamais Kurt et le faire marcher dans des chemins jusque là inconnus...
Je dois avouer que pour une fois, j’ai eu du mal au départ à avancer dans ma lecture. La faute essentiellement à un personnage principal peu charismatique et autocentré. On enchaîne les pages sur la description de son état mental, sa peine, ses efforts pour essayer de s’en sortir. C’est le genre de passages qui d’habitude me plaisent énormément, donnant à voir le caractère d’un personnage. La mayonnaise a donc eu du mal à prendre avec Kurt et j’ai retrouvé ce manque d’appétence à son endroit tout au long de l’ouvrage. Finalement, il s’écoute beaucoup mais ne fait pas vraiment attention au monde qui l’entoure. En même temps, vu ce qui lui est arrivé, tout s’explique...
Heureusement, l’intérêt pour l’ouvrage renaît très vite dès que l’action se précipite. Comme à chaque fois, Khadra excelle dans la description des zones de conflits et de tensions dans le monde. On est littéralement téléporté dans cette corne de l’Afrique si pauvre et dangereuse à la fois. On plonge ainsi dans le quotidien d’otages malmenés, humiliés et revendus à l’envie selon les lois de l’offre et de la demande. Les privations, vexations et incertitudes liés à sa condition vont profondément ébranler Kurt qui va peu à peu se renfermer sur lui même pour mieux éclore par la suite. Même si le personnage m’a souvent laissé de marbres, je dois avouer que son parcours intérieur est intéressant et bien mené.
Il n’y a pas de place pour le manichéisme chez Khadra et ce livre en est encore la belle preuve avec une psychologie des personnages très poussée, y compris chez les ravisseurs et personnages peu rassurants. Car derrière la piraterie, la violence et l’absence parfois de jugement sur le bien et le mal, se cachent des réalités africaines très difficiles qui conduisent à des dérives parfois extrêmes de ses habitants : les rapines, rapts et violences, les départs en masse de migrants pour chercher un avenir meilleur ailleurs, la corruption des puissants qui captent à leur profit les aides envoyées par les ONG, le lobbying mortifères de grandes compagnies commerciales occidentales et orientales. Mais l’Afrique n’est pas que ça et Kurt va le découvrir. L’Afrique c’est la beauté des paysages, des êtres humains accrochés à la vie qu’un fol espoir meut sans relâche... Tout cela fera son chemin dans l’esprit de cet européen déboussolé qui partagera un temps le sort de quelques compagnons d’infortunes, de réfugiés politiques ou encore des membres d’une ONG dans un campement au Darfour.
Une fois bien rentré dans sa lecture, l’accroche arrive et donne de sacrées sueurs froides au lecteur qui tombe à l’instar du héros de Charybde en Scylla. Les rebondissements font leur effet et au fil de son expérience, Kurt perd la tête. Très bien rendu, l’évolution du personnage semble à sens unique avec une expérience brute de décoffrage qui va à jamais le changer. La langue de Yasmina Khadra fait une fois de plus merveille et l’on ressort heureux de cette lecture dépaysante et source de réflexion.
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