"La Dernière chance de Rowan Petty" de Richard Lange
L'histoire : Rowan Petty est un escroc à bout de souffle. Quand il n'arnaque pas des veuves esseulées, il triche au poker. Sa femme l'a quitté pour un autre escroc, sa fille ne lui parle plus depuis sept ans, et même sa voiture l'a planté... Jusqu'au jour où une vieille connaissance lui propose une dernière chance : filer à L.A. où des soldats en poste en Afghanistan auraient planqué deux millions dollars détournés. En compagnie de Tinafey, une sublime prostituée lasse de tapiner et avide d'aventures, il file en direction du Sud. Un jeu dangereux commence auquel vont se retrouver mêlés un vétérinaire blessé, un acteur fini, et la fille de Petty. Pour le gagnant : une fortune. Pour le perdant : une balle dans la tête.
La critique de Mr K : Petit séjour dans le roman noir aujourd'hui avec un des derniers nés de la collection Terres d'Amérique de chez Albin Michel : La Dernière chance de Rowan Petty de Richard Lange. Comparé à Raymond Carver (pas mal comme référence quand même !), l'auteur nous propose un voyage en roue libre au cœur de l'Amérique des exclus où tous les coups sont permis pour se faire une place au Soleil. Accrochez-vous, ça dépote !
Rowan Petty est un escroc, toute sa vie il a vécu d'expédients et de coups foireux. Passé quarante ans, sa situation est loin d'être brillante : divorcé, sans nouvelle de sa fille depuis plus de dix ans, il se retrouve forcé de travailler pour son ancien apprenti qui le traite comme un moins que rien. C'est une ancienne relation qui lui propose une affaire qui pourrait bien le remettre sur les rails : il y a deux millions de dollars à la clef pour ceux qui pourraient faire main basse sur le trésor de guerre de soldats américains peu scrupuleux. Accompagnée de Tinafey, une fille de joie dont il s'est entiché et qui souhaite changer de vie, il part pour Los Angeles.
Mais voilà, vous imaginez bien que rien ne va se dérouler comme prévu. La cible repérée, il va falloir s'en approcher et flirter avec les limites de la déontologie de l'escroc : ne jamais se faire repérer, éviter toute violence et repartir tranquille le magot en poche. La route de Petty croisera celle d'un des vétérans à l'origine de l'affaire qu'il devra pigeonner alors que le gars est bien diminué, affronter des hommes de main retors et au final, se retrouver confronté au cerveau de l'affaire, un mec nerveux et jusqu'au boutiste. Comme si ça ne suffisait pas, sa route croisera celle de son ex-femme avec qui ses rapports sont toujours tendus et surtout, il aura l'occasion de renouer avec sa fille, qu'il a du confier à sa grand-mère tant il n'arrivait plus à tenir correctement son rôle de père. Vous l'avez compris, notre héros va devoir jouer sur de nombreux tableaux mais à ce petit jeu là, on ne peut pas gagner à tous les coups...
Attention, La Dernière chance de Rowan Petty est un roman qui rend addict très très vite ! Au bout de deux / trois chapitres, on est irrémédiablement pris dans l'engrenage à l'image de notre héros qui ne peut résister longtemps à un bon coup. Malgré une vie de filouterie et un moral plutôt vacillant, on l'apprécie immédiatement. Certes c'est un arnaqueur de première mais il a ce je ne sais quoi d'humanité qui nous l'attache au cœur. Malin et sensible, il n'a guère d'illusions mais il s'accroche malgré tout à cette affaire qui pourrait bien le sortir de l'ornière. Utilisant tout son savoir faire et s'appuyant sur des personnages secondaires charismatiques (sa copine amoureuse et forte en gueule et un acteur sur le retour totalement déjanté), on ne s'ennuie pas une seconde. Et puis, il y a les passages où Petty se retrouve dans ses petits souliers, quand il revoit sa fille. Cela donne des moments subtiles mêlant culpabilité et amour paternel, l'auteur dressant un portrait tout en nuance d'une relation père-fille compliquée.
L'arnaque en elle-même avance à son rythme. De la conception du plan à sa réalisation, tout est millimétré et précis. On frôle la catastrophe par moment, et les héros rattrapent le coup parfois de justesse. Les rebondissements sont nombreux sans pour autant tomber dans la surenchère. Très réaliste, le récit s'offre une crédibilité de tous les instants et donne à croiser des personnages parfois peu recommandables. Au détour des circonvolutions de l'histoire, on apprend à tous les connaître et l'on se rend très vite compte que tout est ici question de misère humaine, d'une société profondément inégalitaire qui broie ses âmes sous le rouleau compresseur du fameux rêve américain qui laisse sur le bord de la route beaucoup de monde. Loin de cautionner les actes délictueux voire violents perpétrés par certains des personnages, l'auteur verse dans le noir profond pour illustrer les contradictions des USA avec notamment l'inégal accès aux soins, le communautarisme, la violence larvée et savamment entretenue par le pouvoir... Autant, d'aspects brossés impeccablement et sans fioriture, et qui vous retourneront l'estomac.
Ajoutez là-dessus une écriture nette et sans bavure, simple, accessible et immersive à souhait et vous obtenez un roman noir d'une efficacité redoutable qui vous trottera dans la tête longtemps après votre lecture. Les amateurs du genre ne peuvent vraiment pas passer à côté !