"Tout le bleu du ciel" de Mélissa Da Costa
L'histoire : Petiteannonce.fr: Émile, 26 ans, condamné à une espérance de vie de deux ans par un Alzheimer précoce, souhaite prendre le large pour un ultime voyage. Recherche compagnon(ne) pour partager avec moi ce dernier périple.
Émile a décidé de fuir l’hôpital, la compassion de sa famille et de ses amis. À son propre étonnement, il reçoit une réponse à cette annonce. Trois jours plus tard, avec le camping-car acheté secrètement, il retrouve Joanne, une jeune femme, qui a pour seul bagage un sac à dos, un grand chapeau noir, et aucune explication sur sa présence. Ainsi commence un voyage stupéfiant de beauté. À chaque détour de ce périple naît, à travers la rencontre avec les autres et la découverte de soi, la joie, la peur, l’amitié, l’amour qui peu à peu percent la carapace de douleurs d’Émile.
La critique de Mr K : Attention coup de coeur ! Je vais vous parler aujourd'hui de Tout le bleu du ciel de Mélissa Da Costa, premier roman d'une jeune auteure qui éclabousse de son talent la scène littéraire et livre un ouvrage qui m'a profondément transporté et ébranlé durant toute ma lecture. Malgré une quatrième de couverture qui laisse entrevoir des horizons funestes (et c'est le cas), on trouve une multitude de petits bonheurs dans les 649 pages qui composent ce pavé immédiatement addictif et qui proposent un voyage initiatique hors du commun à ses deux protagonistes principaux. Suivez le guide !
Émile est condamné à moyen terme par une maladie incurable qui va l'éloigner de ses proches et du monde des vivants au fil du temps. Refusant tout acharnement thérapeutique, ne voulant pas inspirer la pitié et le chagrin à ses proches, il décide de partir pour un dernier voyage en toute liberté sur les routes du sud, du côté des Pyrénées. Pour autant, il n'est pas fou, il sait qu'il ne pourra plus s'occuper de lui-même et qu'il aura besoin de soutien. À cet effet, il passe une petite annonce sur internet pour trouver quelqu'un qui l'accompagnera dans cet étrange road-trip. C'est Joanne qui va lui répondre, une frêle jeune-femme discrète qui semble porter un lourd secret. Les voilà partis en camping-car vers la montagne, les grands espaces. Malgré une échéance fatale qui se rapproche, Émile et Joanne vont apprendre à se connaître, se livrer sur leurs vies passées complexes, faire des rencontres marquantes et finalement s'épauler mutuellement.
Sur mon IG, je faisais un parallèle en début de lecture avec Anna Gavalda, je maintiens. On retrouve ce style unique pour caractériser des personnages qui sous leur apparente simplicité cachent des fêlures et des dysfonctionnements qui font ce qu'ils sont aujourd'hui. Au fil de la lecture, l'auteure, par le biais de flashback et de révélations, les épluche comme un oignon : les couches se défont les unes après les autres et je peux vous dire que ça pique les yeux ! On ne tombe par pour autant dans le larmoyant artificiel, c'est la vie dans toute sa simplicité, sa brutalité et ses multiples détours qui nous est ici livrée avec deux personnages que l'existence n'a pas gâtés certes, mais qui leur a apporté aussi son lot de bonheur. Au gré des étapes de leur voyage, de moments volés, de réflexions personnelles, d'écrits livrés à un carnet, on apprend à les connaître et l'on comprend de mieux en mieux ce qui les a irrésistiblement portés l'un vers l'autre. Relation unique, à multi-facette, on ne peut que succomber face à ces deux destins conjugués qui donnent à voir un parfait concentré d'humanité entre souffrance et petites joies du quotidien.
Le rythme est lent, épousant parfaitement l'allure de leur voyage : peu ou pas organisé, se laissant guidé par des rencontres et des envies du moment. L'auteure réussit à captiver ses lecteurs avec de tout petits riens, des détails qui mis bout à bout densifient une histoire à la portée universelle. D'ailleurs des citations multiples émaillent le récit (le papa de Joanne en était friand), des événements, des discussions et échanges avec des tierces personnes élèvent le récit vers le roman initiatique, une quête de l'apaisement pour chacun, le passage à l'étape suivante entre rédemption et acceptation. C'est beau, profond, émouvant et naturel, chacun s'y retrouvera et fera forcément des rapprochements avec sa propre existence sans pour autant avoir besoin de croire en quoique ce soit ou être de telle ou telle origine. Au delà de la mort annoncée d'Émile et le traitement thématique qui y est lié (notamment l'attente, le deuil et le carpe diem qui s'impose avant la fin), nombre de sujets sont abordés en filigrane avec notamment la famille et le poids du passé et les conséquences que l'on ressent bien après, le rapport de l'homme avec la nature avec de purs moments de félicité au milieu de paysages magiques et la communion qui s'instaure entre les personnages et elle (moi qui allait souvent chez ma grand-mère dans les Hautes Pyrénées, je me suis totalement retrouvé enfant dans ce roman), la déconnexion avec une civilisation occidentale aliénante et le retour aux sources, les vertus de l'entraide, de la compréhension entre êtres humains... Sans verser dans le moralisateur et l'exagération, Tout le bleu du ciel s'apparente à une parenthèse enchantée, une odyssée au cœur de l'humain dans ce qu'il pourrait avoir de plus beau...
Il faut bien tout cela pour contre-balancer la mort en attente d'un Émile qui voit son état se dégrader à mesure que les pages se tournent. Pudiquement et avec réalisme, Mélissa Da Costa exprime l'indicible, la longue plongée dans la nuit qui attend les malades victimes d'Alzheimer. Pour connaître un peu le sujet du fait d'un proche atteint de cette saloperie, je peux vous dire que l'auteure fait montre d'un talent incroyable pour décrire l'avancée de la maladie, les sentiments qui animent les malades et surtout les proches qui traversent une véritable épreuve au fur et à mesure que cette maladie neuro-dégénérative détruit l'être aimé. C’est poignant, parfois même décalé - les réactions d'Émile pour conjurer le mauvais sort au départ détonent - mais on reste dans la justesse et la mesure. C'est un sacré tour de force que de réaliser cela, bravo encore à l'auteure.
On est donc partagé entre de multiples sentiments durant toute la lecture : le rire se dispute aux larmes, l'aventure est belle malgré la maladie d'Émile qui progresse inexorablement. D'une lecture aisée et très plaisante, l’ouvrage finit donc de convaincre par son style lumineux, direct (les dialogues sont d'un naturel confondant) et prenant. C'est bien simple, on devient accro très vite et on ne peut s'empêcher d'y retourner tant on est pris aux tripes par ce road movie très particulier à la profondeur incroyable. Mon premier coup de cœur pour cette année 2019. À lire absolument !