"La Société des faux visages" de Xavier Mauméjean
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L'histoire : New York 1909. Pour enquêter sur la disparition de son fils Stuart, le milliardaire Vandergraaf recrute un duo surprenant : Sigmund Freud, le médecin et Harry Houdini, l’illusionniste. L’un prétend explorer les méandres de l’esprit. L’autre affirme pouvoir s’échapper des lieux les plus hermétiquement clos. Ils disposent d’un seul indice : un conteneur scellé, sur les docks. C’est le temps des premiers gratte-ciel, des puissantes familles et des gangs.
Au fil d’un jeu de pistes ébouriffant, où le portrait d’une femme joue un rôle décisif, Freud et Houdini affrontent les sommets aussi bien que les bas-fonds new-yorkais.
La critique de Mr K : Lire un Mauméjean est toujours source de réjouissances pour moi. En plus d'être charmant et facile d'accès quand on le rencontre aux Utopiales, l'auteur possède une plume unique et a le don de traiter des sujets qui sortent de l’ordinaire provoquant tour à tour l'étonnement, l'évasion et au final, un plaisir de lecture renouvelé. La Société des faux visages ne fait pas exception à cet adage tant il m'a convaincu et totalement rendu addict durant les quelques heures de lecture passionnée que j'ai éprouvé en le parcourant avec délectation.
Le postulat est simple et se rapproche d'une enquête à la Sherlock Holmes dont on sait Xavier Mauméjean friand (il a animé une rencontre sur le thème justement cette année aux Utopiales) avec en prime une rencontre imaginaire des plus prometteuses : Harry Houdini et Sigmund Freud devenant partenaires pour retrouver le fils disparu d'un magnat de l'époque. Après la révélation de la mission par le commanditaire et la rencontre entre les deux pointures, débute une enquête tortueuse qui mêle très habilement exploration psychique, énigme à tiroir de type escape game (Que contient le mystérieux container découvert sur les docks ?) et exploration des couches sociales du New York de l'époque. Peu à peu, au fil de leurs rencontres et déductions, le voile se lève sur une disparition qui cache en fait nombre de ramifications insoupçonnées...
Clairement à la base je suis le bon client pour ce type de lecture car en plus d'adorer l'auteur, j'ai été nourri à Conan Doyle étant jeune (je suis tombé dedans tout petit et on ne m'a jamais interdit d'y retourner contrairement à d'autres -sic-). Mauméjean s'amuse donc à avancer masqué, laissant ses deux illustres personnages principaux dans une belle panade durant la majeure partie du roman. Certes, ils progressent assez vite, enchaînant les déductions et faisant les liens entre les différents indices laissés par le disparu mais loin d'éclairer leur lanterne, la piste se complexifie et les mène vers des horizons qui dépassent la simple disparition. Présent et passé vont se mêler, les témoignages et découvertes se mélanger pour explorer la société new-yorkaise de l'époque et les mœurs peu ragoûtantes du capitalisme émergent. On ne s'ennuie pas une seconde, tout se tient et la fin en surprendra plus d'un même si jamais deviné une ou deux ficelles. C'est cela de pratiquer intensément un auteur...
Comme d'habitude, les personnages sont admirablement caractérisés que ce soit les personnages historiques rencontrés (Houdini, Freud mais aussi beaucoup d'autres) ou les créations littéraires pur jus. On sent la grande tendresse qui habite l'auteur quand il nous présente Houdini et sa petite famille, Freud et les réticences qu'il inspire à l'époque. L'ensemble est un savant mélange d'éléments historiques (tout est quasiment vérifiable sur le web si vous n'êtes pas un spécialiste de ce maître de l'évasion) et de talent pur pour contextualiser et faire vivre des personnages. C'est bien simple, de suite on est embarqué, on est chez soi et l'on colle au plus près de personnes célèbres et remarquables mais cependant proches, attachantes et très humaines. Loin d'être figé, ce roman est une ode à la découverte de soi, de l'autre et à l'intelligence qui peut vaincre tous les périls et les obscurantismes. Pour autant, tout n'est pas rose et la fin souffle un petit air amer, ce qui n'est pas pour me déplaire, bien au contraire !
Mauméjean sait aussi très bien immerger ses lecteurs dans une époque lointaine. La plupart de ses romans se déroulent entre fin du XVIIIème siècle et début du XXème siècle. Au détour des circonvolutions du récit, on s'émerveille devant l'égrenage de petits détails et de faits historiques qui nourrissent l'ensemble et lui donnent une dimension supplémentaire fort alléchante quand on est amateur d'Histoire comme moi : que ce soit la disparition des voitures à cheval à la massification du trafic automobile, les krachs boursiers du début de siècle qui déstabilisent l'établishment et l'état, la décoration des demeures bourgeoises, l'antisémitisme qui a pignon sur rue (Houdini et Freud sont tous les deux juifs d’origine), les débuts difficiles de la psychanalyse ; tous ces éléments apportent un cachet d'authenticité mais aussi une gouleyante érudition que l'on absorbe avec plaisir et sans difficulté.
En effet, dans La Société des faux visages, le style est un peu plus épuré que dans des œuvres plus anciennes du même auteur, économie de mots rime avec sens de l'essentiel et plaisir optimal de lecture. C'est bien simple, une fois débuté, il est impossible de relâcher ce volume qui se lit quasiment d'une traite. Une belle fantaisie policière comme on les aime que je ne saurais que trop vous conseiller !
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