"Le Purgatoire" de Chuck Palahniuk
L’histoire : À sa grande surprise, Madison, 13 ans, morte dans de mystérieuses circonstances, est allée directement en enfer. Lors d’une soirée d’Halloween, elle a néanmoins l’occasion de revenir sur terre. Cette petite parenthèse chez les mortels va être riche en événements. Madison va en effet essayer de combler quelques blancs de son histoire en enquêtant sur un horrible meurtre, dont elle est peut-être l’auteure, et tenter de savoir pourquoi elle a été damnée. Elle va surtout découvrir une conspiration millénaire, dans laquelle elle joue le rôle principal.
La critique de Mr K : Ça faisait bien cinq ans que je n’avais pas remis le nez dans un livre de Palahniuk. Et pourtant, moi qui suis fan de thrash militant, j’ai toujours eu de bonnes lectures en sa compagnie avec notamment le cultissime Fight club ou le très bon Survivant. L’occasion s’est présentée pour que je lise ce Purgatoire qui fait lui-même suite à Damnés. N’ayant pas lu l’opus précédent, j’avais peur d’être perdu mais il n’en a rien été, ce livre pouvant se lire indépendamment de l’autre même si certaines allusions ou références ont pu m’échapper. Quoiqu’il en soit, ce fut une lecture une nouvelle fois terrible et jubilatoire.
Madison, une jeune adolescente bien déglingos est morte assassinée. Manque de bol, n’ayant pas eu une courte vie des plus vertueuses, la voila qui débarque en Enfer. Passée la surprise initiale, elle se fait plutôt bien à son nouveau lieu de villégiature et quand arrive la nuit d’Halloween, la voila en capacité de passer du temps sur Terre. L’occasion pour elle de faire flipper ses anciennes camarades de classe, de rendre visite à sa famille de bargeots et surtout d’explorer les zones d’ombres de son passé. Elle ne va pas être déçue du voyage entre passé revisité et révélations choc !
Comme souvent avec cet auteur, il y a de forts risques d’être perdu au départ. Personnellement, j’aime cela mais si vous êtes plutôt adepte du easy-reading bien balisé, passez votre chemin. On atteint ici des sommets du délire verbieux dont est capable Chuck Palahniuk avec des syntaxes et du contenu complètement frappadingues, des formulations délirantes qui se font écho entre elles et emmènent le lecteur loin, très loin dans un univers complètement branque. Les situations ubuesques et les rapports pseudo-humains s'enchaînent avec une fougue incroyable et il ne faut pas avoir peur de se faire mal et de donner du mou à un auteur en roue libre. Rien ne nous est épargné dans le scabreux, la folie et le glauque, même si l’ensemble est saupoudré d’un humour cynique et corrosif, ça attaque sévère et tous les bien pensants feraient mieux de s’écarter de la route de cet ovni livresque totalement invraisemblable.
Madison nous raconte donc à travers son blog virtuel (petits chapitres très courts aux titres évocateurs) son expédition sur terre avec une visite surprise à ses "camarades" de dortoir, des souvenirs sur son enfance difficile en compagnie de ses parents et un séjour qui va virer au cauchemar chez ses grands-parents (le passage dans les toilettes publiques est vraiment atroce), ses discussions avec ses amis vivants en enfer (sous forme de questions / réponses comme dans un forum numérique). Cela donne lieu à autant de tranches de vie et de pensées borderline qui surprennent, agacent, déroutent et bien souvent poussent le lecteur dans ses retranchements entre rire et dégoût. La lecture est vraiment fascinante, ce n’est pas un livre de plus que l’on lit ici, c’est véritablement une expérience que l'on vit.
C’est en grande partie dû au personnage même de Madison et surtout à sa famille qui vit en dehors des conventions morales établies. La vie de famille est bien déviante et à travers quelques flash-back bien sentis, c’est l’occasion d’assister à des pratiques bien thrash où drogue, médocs et sexe ont la part belle. Difficile dans ces conditions de se développer normalement pour une enfant qui de plus se sent mal-aimée par ses richissimes parents overbookés par leurs activités de mécénats et de communication. Parfois too much, en filigrane on ne peut s’empêcher de penser que derrière cette grosse caricature, Palahniuk n’épargne pas notre époque faite de simulacres, de marchandisation à outrance et de travestissement des sentiments au nom des sacro-saintes déesses du paraître et de la consommation. Certes la finesse n’est pas forcément de mise tout le temps ici (quoique…) mais le brûlot a le mérite d’être sans concession et totalement jusqu’au-boutiste.
Tour à tour, religion, consumérisme, rapports familiaux, bien-pensance, notion de mal et tout un ensemble de thématiques chères aux USA sont ainsi abordées, détournées et vidées de leur sens par cette œuvre iconoclaste et royalement écrite. Parfois ésotérique pour le lecteur non habitué, l’écriture est cependant d’une pureté incroyable, constituée de fulgurances ahurissantes qui explosent les conventions et l’écriture classique. C’est certes éprouvant et exigeant mais mon dieu que c’est bon ! On en redemanderai presque tant l’ensemble se lit vite et avec délectation si l’univers de l’auteur vous plaît. Le Purgatoire est un petit bijou de plus dans ma bibliothèque pour un auteur décidément très doué, peut-être même un des plus doués de sa génération outre-atlantique !