"Moi, ma vie et les autres" de Jim Powell
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L'histoire : À soixante ans, Matthew Oxenhay contemple son existence avec un regard désabusé et une ironie mordante. Depuis quelque temps, il traverse une phase difficile où l’alcool et son goût pour la provocation masquent difficilement son mal-être. Renvoyé de son poste de trader à la City il y a quelques mois, il n’a encore rien dit à Judy, son épouse modèle. Sa carrière, sa famille, ses amis… Rien ne le satisfait plus aujourd’hui, et cette existence, dans le fond, ne l’a jamais vraiment fait vibrer. Car, à vingt ans, ce n’était pas de cette vie-là qu’il rêvait. Mais Matthew se dit qu’il est sans doute trop tard pour changer. Pourtant, lorsqu’il rencontre par hasard Anna, dont il était tombé éperdument amoureux quarante ans plus tôt, Matthew voit en elle l’occasion d’un nouveau départ, la possibilité du bonheur. Peut-il reprendre les choses là où il les avait laissées et devenir celui qu’il rêvait d’être ? Ou bien toutes ses illusions se sont-elles envolées avec le temps ?
La critique de Mr K : Sur une route de campagne, on retrouve Matthew Oxenhay sexagénaire à bout de souffle. Plus rien ne le comble, il remet en questions tous les éléments qui constituent son existence : viré de son travail après des années de bons et loyaux services, il ne se satisfait pas de l'argent qu'il a pu mettre de côté. La lassitude conjugale l'a aussi envahi, il compare sa vie à une suite de gestes mécaniques et habituels sans saveur, sa femme lui est quasiment devenue une étrangère alors qu'elle est prévenante et aimante. Ses amis l'ennuient et les regrets commencent à poindre à l'horizon avec en première place, Anna. Un amour de jeunesse idéalisé que le plus grand des hasards va lui faire rencontrer à nouveau lors d'une visite au Tate de Londres. Il rentre alors dans une période de remise en question profonde qui pourrait déboucher sur des changements irrémédiables.
Je suis assez friand des romans aux héros fatigués et usés par la vie. Souvent, ils sont propices à l'introspection et éclairent sans concession les affres de l'existence humaine. On n'échappe pas à ce diptyque doré avec cet ouvrage 100% anglais dans l'esprit et l'écriture, Jim Powell excellant dans le maniement du cynisme, les sarcasme et les envolées intérieures hautes en pouvoir évocateur. La quatrième de couverture ne ment pas, on embarque vraiment dans les montagnes russes de l'existence, les pérégrinations de Matthew offrant tour à tour grands moments de désespérance et espoirs fugaces. On sourit, on s'amuse face aux réflexions désabusées du héros qui sonnent souvent juste, on frémit aussi lors de ses remises en question, les balancements entre raison et désir. Une vie humaine est fragile et délicate, et ici on flirte constamment avec le fil du rasoir avec cet ouvrage centré sur le narrateur et le suivant au plus près. Rien ne nous échappe ou du moins semble clair comme de l'eau de roche, c'est sans compter une fin aussi surprenante que bien trouvée.
En effet sous ses dehors de trame classique et une narration immersive, l'auteur plante des certitudes et des orientations dans l'esprit captivé du lecteur mais c'est pour mieux le cueillir en fin d'ouvrage avec une révélation et un sens de la surprise sonnant juste et fort au bon endroit, au bon moment. Au fil de la lecture, on s'est forgé une image bien précise de Matthew, personnellement je l'ai adopté, aimé, parfois rejeté puis retrouvé. Un élément essentiel pourtant de sa personnalité nous échappe et une fois la révélation faite, on se surprend à reprendre mentalement tout le déroulé qui du coup prend un sens et un tour nouveau. Le procédé est ingénieux et magistralement exécuté dans ce livre. Bravo!
Il faut dire que l'auteur sait s'y prendre, grâce à une langue novatrice dans son expression, très tatillonne par moment dans le vocabulaire et la syntaxe mais dévissant totalement lors de l'expression des sarcasmes et réflexions du personnage principal pour le plus grand plaisir du lecteur. Cet humour grinçant porte ce destin abîmé, nous attache à ses pas et ne nous lâche plus. Avec Moi, ma vie et les autres, le degré d'addiction est élevé et il est vraiment difficile de relever le nez avant le mot fin. On ressort de cette lecture sensiblement ébranlé, partagé entre portée symbolique du parcours de Matthew et reflet peu flatteur de La Condition humaine si chère à Malraux. Une expérience à part, au parfum doux-amer et qui laisse des souvenirs durables.