"Quand on rêvait" de Clemens Meyer
L'histoire : Daniel, Rico, Mark, Walter et leurs copains vivent à Reudniz, un quartier pauvre de Leipzig. Ils ont treize ans au moment de la réunification, à l’automne 1989. Après les jeux de l’enfance et le strict encadrement des mouvements de jeunesse et de l’école du régime communiste, vient pour eux le temps de l’adolescence dans un pays nouveau où les règles d’hier n’ont plus cours. Les vols de voiture, les bagarres, l’alcool, la drogue et les fêtes les aident à se sentir libres, à tenter de réaliser leur rêve, celui de devenir "les plus grands" de Reudnitz et même de toute la ville.
La critique Nelfesque : J'ai remarqué la sortie de ce roman dans le magazine LIRE du mois d'avril, un "Spécial Polar" fort intéressant où j'ai piqué quelques idées de futures lectures. En accroche : Un roman coup de poing sur une jeunesse allemande à la dérive. "Coup de poing", "jeunesse", "dérive" et un titre mélancolique. Il ne m'en fallait pas plus ! Je décidais de lire "Quand on rêvait" de Clemens Meyer et Dieu que j'ai bien fait !
Il y a des romans qui vous marquent dans votre vie de lecteur, des romans qui une fois refermés vous laissent un grand vide, des romans emplis d'humanité qui vous mettent les larmes aux yeux. "Quand on rêvait" fait partie de ce club très restreint des lectures qui prennent aux tripes.
Nous voici en Allemagne à un moment clé de son Histoire contemporaine, celui de la chute du Mur. Nous suivons un groupe d'amis d'enfance à différentes périodes de leur vie : leur jeunesse encadrée par la propagande communiste, leur adolescence dans les raves techno entre petits caïds et bandes rivales, leur quotidien à Leipzig, les marches pour la chute du Mur et ses conséquences, et puis la misère sociale, l'alcool et la drogue...
Il plane sur ce roman une noirceur palpable dès les premières pages. Daniel et ses amis, Rico, Walter, Stefan, Mark, sont des gamins comme les autres, plein de rêves et d'énergie. Prêts à braver le monde et les codes établis par les "pionniers" de leur enfance entourée de béton, de parents violents, de misère et de désillusions. Petits mecs en mal de vivre et avec une soif de reconnaissance et d'appartenance qui frise la rage, ils vont brûler leur existence par les deux bouts. La police, la prison, une première fois, une seconde fois, la drogue, les règlements de comptes, l'alcoolisme, l'overdose. La mort.
"Quand on rêvait" vise le coeur du lecteur et touche dans le mille pour qui veut bien se laisser porter par l'ambiance du roman et revenir inlassablement, avec l'auteur, sur des évènements parfois anodins mais tellement lourds de sens dans la vie de cette bande d'amis. La tension monte, les larmes aussi pour cette jeunesse si fragile et innocente, brisée par un destin biaisé et un horizon bouché. Sans d'autres perspectives d'avenir que l'instant présent et la vie dans le quartier, Daniel et ses frères veulent être les plus grands, les plus respectés, les plus forts, les plus libres. Avec toujours un pied dans l'enfance et une loyauté sans faille les uns envers les autres, ils traversent les épreuves de la vie avec leurs moyens, à leur niveau, souvent mal mais ensemble.
Clemens Meyer nous livre ici un roman magistral qui plonge le lecteur dans une époque et une ambiance avec brio. Par petites touches et comme un puzzle, le destin de ces jeunes se façonne peu à peu. Profondément attaché à ces personnages, nous assistons impuissants aux violences auxquelles ils doivent faire face. Le coeur au bord des lèvres, nous les voyons tomber, se relever parfois, nous nous amusons de leurs bêtises de gamins et nous alarmons des proportions qu'elles peuvent avoir. Nous vibrons avec eux sous la plume acérée de l'auteur, abrupte et fiévreuse qui ne nous ménage pas. Les mots sont crus, les phrases vives, les réactions instinctives. L'écriture dans tout ce qu'elle a de plus noble, au service d'une histoire sans concession.
Avec la Jeunesse libre allemande, la chute du Mur, l'Histoire dans l'histoire en toile de fond, "Quand on rêvait" donne à voir l'envers du décor et le quotidien d'une bande de copains. Tout simplement. Une grande émotion et un grand moment de lecture dont on ressort la boule au ventre.