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Le Capharnaüm Éclairé
2 janvier 2015

"Sirtaño ou la légende du serpent-roi" de Renaud Joubert

serpent roi

L'histoire: Dans le village de Mandigua, seuls les chasseurs de serpents, ignorant la peur de la mort, osent s'aventurer dans la forêt vierge où, perpétuant la dévotion au Mythe originel, ils honorent le Sirtaño, ce serpent noir qui donna naissance à l'humanité, en affrontant les serpents. Le don de la chasse leur vaut d'être vénérés par les paysans, mais, tel un sacerdoce, il implique un sacrifice de soi : il est interdit aux chasseurs de connaître l'amour. Or Julian Salamavera, le meilleur chasseur de Mandigua, semblant possédé par le Sirtaño lui-même, tombe sous le charme d'Estrella Dalamaro. La vengeance du Sirtaño peut dès lors frapper au hasard les habitants du village.

La critique de Mr K: Suite de l'exploration de ma PAL avec un ouvrage de l'excellente maison d'édition du Serpent à Plumes. Renaud Joubert est un jeune auteur, amateur de voyage, remarqué pour son premier roman Les esprits du désert (que je n'ai pas lu pour le moment). La quatrième de couverture de Sirtaño ou la légende du serpent-roi m'avait attiré comme un aimant lors d'un destockage massif. On flirtait avec Garcia Marquez (période Chronique d'une mort annoncée, un joyau dans son domaine!) et le pitch me rappelait vaguement un classique de la littérature contemporaine: Le Vieux qui lisait des romans d'amour. Je ne m'étais pas trompé en jetant mon dévolu sur ce livre qui s'apparente à une œuvre incontournable et durablement marquante.

L'histoire se déroule dans un pays dont on ne connaîtra jamais le nom, seuls indices pour nous aiguiller: la toponymie des lieux et les prénoms, les travaux des champs et les liens sociaux qui font penser à l'Amérique du sud. À Mandigua, petit village perché dans les montagnes, on vit essentiellement des subsides de l'agriculture de subsistance et malgré une percée de la foi catholique, la superstition est au centre de tout avec notamment le mythe du Sirtaño, grand serpent noir à l'origine du monde. L'équilibre est précaire mais il existe, la tradition étant portée par la caste des chasseurs chargée de purifier la forêt et de rendre ainsi hommage au Sirtaño... Tout bascule à cause d'un élan du cœur, un sentiment bien humain qui va tout bouleverser et mener au drame.

Ce livre est une petit merveille de finesse et d'intensité. Renaud Joubert a un talent incroyable pour planter un décor de manière attrayante et passionnante. En une dizaine de pages, on se fait une idée très précise des rapports humains et du fonctionnement de ce petit village isolé de tout et de tous. Ce microcosme et son organisation n'ont plus de secret pour nous, l'intrigue peut commencer. Cette histoire est peuplée de personnages forts, tiraillés entre leurs obligations liées aux coutumes et leurs aspirations intérieures. Ainsi Julian, meilleur représentant des chasseurs ne peut résister à l'attirance de plus en plus forte qu'il éprouve pour la jeune et jolie Estrella, une fascination qu'il ne s'explique pas et qui le taraude. C'est pour le lecteur l'occasion de redécouvrir les impressions si désarmantes que l'on peut éprouver lors de la naissance du premier amour et la découverte des sentiments et impressions qui l'accompagne. Tout bonnement magnifique! Il y a aussi de belles pages sur l'amitié et la fraternité, je pense notamment aux relations que Julian entretient avec un frère de caste qui le soutiendra à demi mot malgré leurs différences d'opinion.

Ce livre m'a surtout marqué par son caractère dramatique car on sent bien dès le début qu'un espèce de fatum plane au dessus des protagonistes. La transgression amène la punition selon les croyances de cette micro-société et elle prend ici un caractère inique et anxiogène. L'effet de masse est puissant et inquiétant, à partir du moment où Julian a passé le rubicond et que cela est révélé aux yeux de tous, les choses s'emballent. Les jalousies se réveillent, les mauvais esprits travaillent et l'injustice se fait jour. On ne peut qu'être heurté par les réactions mises en scène ici au premier lieu d'entre elle, la manière dont les femmes sont traitées voir marchandées par les hommes seuls détenteurs du pouvoir. Les pères et les frères ont ici un rôle de dominant et de décideurs qui fait froid dans le dos. Et pourtant, il y a de la pureté et de l'éclat chez Estrella, ainsi que chez sa cousine amoureuse transie d'un salopard. Mais cette beauté est à jamais fanée (profanée?) par les actes cruels et intéressés des hommes: le paysan arriviste et calculateur, le contre-maître maquereaux libidineux, le tanneur sans scrupule et exploiteur... On éprouve avec cette lecture une foule de sentiments contradictoires, un peu à la manière de La Perle de Steinbeck relu l'année dernière et adoré.

Renaud Joubert est vraiment une très belle découverte littéraire. Je suis resté soufflé devant son style à la fois poétique et précis, sa capacité à mettre en branle un univers entier et vivant, la beauté de son écriture est un écrin somptueux pour une histoire à la fois universelle et intimiste. L'amour est ici d'une pureté de cristal et vous touche en plein cœur. L'adversité est ici cruelle et désespérante mais d'une humanité profonde car vraisemblable et malheureusement encore d'actualité.

Un beau voyage pour un récit touchant au plus au point et qui vous marque profondément d'une émotion durable. Un grand plaisir de lecture, unique et à expérimenter au plus vite!

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