"Esprit d'hiver" de Laura Kasischke
L'histoire : Réveillée tard le matin de Noël, Holly se voit assaillie par un sentiment d'angoisse inexplicable. Rien n'est plus comme avant. Le blizzard s'est levé, les invités se décommandent pour le déjeuner traditionnel. Holly se retrouve seule avec sa fille Tatiana, habituellement affectueuse, mais dont le comportement se révèle de plus en plus étrange et inquiétant...
La critique Nelfesque : Laura Kasischke est une auteure dont j'avais entendu beaucoup de bien sur la blogosphère et en particulier venant de Mr K qui avait eu un véritable coup de cœur pour "A suspicious river" cette année. Quoi de mieux que la Rentrée Littéraire et l'opportunité de découvrir son dernier roman, "Esprit d'hiver", dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire PriceMinister-Rakuten ?
J'ai été surprise par l'écriture de Laura Kasischke dès les premières pages. Avec sa plume si particulière et jamais rencontrée jusqu'alors, j'étais à la fois éberluée et conquise. La magie a opéré en quelques lignes seulement.
"Esprit d'hiver" n'est pas un roman à la structure classique. C'est une longue litanie qui emmène ses lecteurs vers un sentiment que peu de lectures procurent. Les phrases sont répétées, comme un mantra. "Quelque chose nous a suivi depuis la Russie jusque chez nous" ... On ne comprend pas bien où tout cela va nous mener au départ mais peu à peu, comme avec un pinceau de peintre et des petites touches de couleur, l'auteure façonne sous nos yeux et entre ses lignes un univers qui prend de plus en plus d'épaisseur.
La quatrième de couverture laisse présager un roman sombre et une ambiance noire. L'inquiétude saisit peu à peu le lecteur qui, par strate, descend de plus en plus dans la noirceur et la folie latente du personnage principal. Holly est une femme tout ce qu'il y a de plus ordinaire qui s'apprête à passer une journée de Noël classique avec sa famille et ses proches. Rien ne va se passer comme prévu : elle ne se réveille pas à l'heure, de plus avec un sentiment étrange, est en retard pour la confection de son repas, sa fille n'est pas comme d'habitude et son comportement est détestable, limite malsain. Une tempête de neige fait alors son apparition et sa maison se transforme au fil des pages en une prison entourée de blanc où un huis clos angoissant se prépare.
Je n'en dirai pas plus sur le déroulement de l'histoire, encore moins sur la scène finale qui bien qu'attendue de mon côté m'a marquée par sa soudaineté, et vous laisse découvrir l’œuvre le plus naïvement possible. Personnellement, je suis ressortie de cette lecture complètement envoûtée par la plume de Kasischke. J'ai retrouvé ce sentiment si particulier ressenti lors de ma lecture de "Mad about the boy" d'Emmanuel Adely, lu plusieurs années avant de tenir ce blog (un bijou !). Comme si le temps d'une lecture, nous n'étions plus vraiment les pieds sur terre, comme si le monde qui nous entoure ne pouvait être, l'espace d'un instant, que poésie et sensibilité artistique.
Un procédé très particulier qui ne plaira certainement pas à tout le monde, qui ennuiera même parfois certains lecteurs, mais qui me transporte comme seule la littérature de qualité et les auteurs de talent savent le faire.
Vous l'aurez compris, je recommande chaudement ce roman (particulièrement en ce moment pour une immersion totale dans le récit, décembre approchant...) et je ne donne pas plus de quelques semaines à Mr K pour me le piquer. Très beau moment.
La critique de Mr K (edit du 10/12/23) : Dans le cadre de notre défi interne #piochedanslautrecapharnaum, Nelfe m'a proposé un ouvrage de Laura Kasischke, une auteure que nous aimons beaucoup tous les deux et dont je n'avais pas lu ce roman qui avait fortement marqué ma douce. Moi aussi, je n'en ai fait qu'une bouchée, un passage inopiné et trèèès long aux Urgences m'ayant donné largement le temps pour ça. Quelle claque que cette lecture !
C'est le jour de Noël et Holly s'est réveillée très tard. Son mari est déjà parti à l'aéroport pour chercher ses parents et elle est chargée de préparer le repas et d'accueillir les autres invités en compagnie de Tatiana, leur fille. Dès le lever, elle un pressentiment : quelque chose ne va pas. Elle commence à vaquer à ses occupation et les rapports avec sa fille sont tendus, Tatiana a un comportement différent, celle-ci semble lui reprocher son réveil tardif... Qu'en est-il vraiment ? À travers les perceptions, réflexions et actes de Holly, le lecteur doit se frayer un chemin vers une révélation choc que je vous mets au défi de deviner avant la dernière page.
Le récit se déroule sur une journée et s'apparente à un long monologue de la mère et à de nombreux flashback qui reviennent sur le passé de la famille et notamment l’adoption de Tatiana, enfant tant désirée qu’Eric et Holly sont allés chercher dans un orphelinat russe en Sibérie. Holly se livre sans compter durant tout l’ouvrage, sur son désir de maternité, ses attentes, le lien privilégié qu’elle veut développer avec sa fille. Je dois avouer que dès le départ, j’ai senti comme un malaise m’envahir, trouvant cette femme un peu déboussolée pour pas grand-chose, très possessive et étouffante. Pas étonnant que sa fille de quinze ans soit désagréable avec elle en ce jour si spécial. Sauf qu’à priori ce n’était pas encore le cas la veille... Étrange, vous avez dit étrange ? C’est rien de le dire quand on a finalement toutes les pièces du puzzle entre les mains.
Ce huis clos glacial, tant sur les événements qui se déchaînent à l’extérieur et isolent les deux femmes et les échanges plein de tension auxquels ils se livrent, prend aux tripes. Les apparences sont trompeuses, on s’en doute assez vite. Mais les indices sont maigres et l’on doit se contenter de suivre Holly dans ce qu’elle veut bien nous dire. Tatiana est distante, ses réactions parfois épidermiques et Holly s’en offusque sans réellement comprendre. Les frontières entre réalité, fantasmes et désirs enfouis de reconnaissance se mêlent. Que croire ? Que penser ? On flotte littéralement dans une ambiance de fin du monde dans une maison où de nombreuses choses sont en jeu entre maternité, féminité, dualité et basculement vers la folie. La banalité du récit peu à peu tombe dans le cauchemar éveillé, l’angoisse monte et le final nous achève de manière magistrale.
C’est le genre de lecture qui reste longtemps en tête, j’ai tellement été soufflé par la fin que je me suis pris à relire immédiatement les vingt premières pages histoire de me refaire le réveil d’Holly sous une autre perspective. Terrifiante et brillant à la fois tant l’auteure a monté son affaire avec grand talent et subtilité. Le suspens ne se dément jamais, la noirceur s’invite au rendez-vous dans un climax froid dans tous les sens du terme et une écriture littéralement envoûtante. Un grand roman qui rejoint mes ouvrages préférés, si vous ne l’avez toujours pas lu, n’hésitez pas, foncez. On n’en ressort pas indemne. Merci Nelfe !