"Room 237" de Rodney Ascher
L'histoire: En 1980, Stanley Kubrick signe Shining, qui deviendra un classique du cinéma d'horreur. A la fois admiré et vilipendé, le film est considéré comme une oeuvre marquante du genre par de nombreux experts, tandis que d'autres estiment qu'il est le résultat du travail bâclé d'un cinéaste de légende se fourvoyant totalement. Entre ces deux extrêmes, on trouve cependant les théories du complot de fans acharnés du film, convaincus d'avoir décrypté les messages secrets de Shining.
ROOM 237 mêle les faits et la fiction à travers les interviews des fans et des experts qui adhèrent à ce type de théories, et propose sa relecture du film grâce à un montage très personnel. ROOM 237 ne parle pas seulement de fans d'un film mythique – il évoque les intentions de départ du réalisateur, l'analyse et la critique du film.
La critique Nelfesque: Sorti en juin dernier, j'ai pesté de ne pas le retrouver à l'affiche dans les cinémas de notre région tant je voulais voir ce documentaire! Miracle, fin août, il a fait son apparition dans notre ciné préféré. On ne réfléchit pas... On y va!
Et bien, on aurait dû réfléchir...
Ou plutôt, J'aurais dû réfléchir...
Dès les premières minutes du documentaire, le ton est donné. Les différents protagonistes, fana de la première heure du célèbre "Shining" de Kubrick, vont disséquer ce film et nous donner les clés pour voir "de l'autre côté du miroir", la face cachée de ce long métrage. Sur le papier, ce documentaire a tout pour me plaire. Oui, sur le papier seulement... Les 15 premières minutes passées, je me demandais clairement ce que je faisais là, dans cette salle de cinéma, à écouter des inepties et voir un doc qui semble sortir tout droit des années 80! Tour à tour, on enfonce des portes ouvertes ou on hallucine sans avoir pris la moindre drogue (enfin, vous me direz, ça coûte moins cher comme ça!).
Kubrick dans "Shining" met tout en place pour créer un sentiment de malaise et faire perdre ses repères aux spectateurs. Si vous ne l'aviez pas remarqué par vous-même, il y a de nombreuses incohérences dans les plans de l'hôtel Overlook. On ne peut clairement pas se retrouver dans telle pièce en sortant de tel couloir, le rez-de-chaussée et le premier étage se confondent lors de la balade en tricycle de Danny... Dans "Room 237" tout est expliqué en long et en large... oui mais à base de plans immondes. N'espérez donc pas vous y retrouver! Moi qui suis une habituée des plans, j'ai fait des bonds dans mon siège. On est quand même à une époque où on peut faire nettement mieux et plus compréhensif que ça non!?:
Certains voient en "Shining" une dénonciation du massacre des indiens d'Amérique et effectivement de nombreux clins d'oeil sont semés tout le long du film, autant dans les dialogues que dans les détails de décors. D'autres font un parallèle avec la Seconde Guerre mondiale et voient en "Shining" une représentation de la Shoah. Si cet évènement historique ne me touchait pas autant, je crois que je me serai étouffée avec mon pop-corn (alors que je ne mange même pas de pop-corn (c'est dire!)). Vraiment à partir de ce moment là, j'ai pris en grippe ce documentaire et j'ai bien eu envie de quitter la salle. Tout à fait sérieusement, on nous démontre par a+b que oui Kubrick a voulu ici parler de l'extermination des juifs. D'ailleurs, ayez cela en tête la prochaine fois que vous verrez le film, il parait que c'est une évidence! Mais oui bien sûr, pourquoi n'ai-je jamais eu l'idée de débattre de cela avec ma grand-mère en lui faisant visionner "Shining"!? Peut être aurait-elle revécu des évènements passés!? A mon sens, ici, on est en plein délire et surtout dans un manque de respect total. Gerbant...
J'ai commencé à donner mon avis sur "Room 237" avec ces deux points qui m'ont fait hérisser le poil mais d'autres détails m'ont amusée, plus qu'énervée. C'est le cas du fan ultime qui a visionné le film en superposant le visionnage classique à celui inversé. Cela donne des scènes troublantes mais de là à y voir une volonté quelconque... Idem pour celui qui nous décortique une scène image par image, nous laissant présager une révélation de ouf-malade-guedin et qui au final nous offre un pétard mouillé, une hallu que lui seul peut comprendre... Mention spéciale pour le visage de Kubrick dans les nuages... Bon après, je ne critique pas, chacun ses hobbies hein mais là on nage en plein délire.
Enfin, tout n'est pas à jeter dans "Room 237". Non, non, il y a tout de même quelques infos intéressantes, surtout sur la perception. J'ai commencé par parler de cela dans ma critique, évoquant les plans dégueux, mais il y a des points de détails comme Danny jouant sur la célèbre moquette du couloir à la géométrie changeante qui m'ont fait ouvrir de grands yeux comme une gamine. Idem lors de l'explication de la cassure entre le Shining du King et le Shining de Kubrick. Je pensais naïvement qu'il en serait ainsi tout le long de ce docu et ce ne fut vraiment pas le cas. D'où ma déception...
Je crois que vous avez compris que l'on ne puisse pas dire que j'ai aimé ce documentaire. Je préfère rester sur ma propre vision du chef d'oeuvre de Kubrick. Je ne vais donc pas en rajouter et laisser la place à Mr K qui, lui, à un autre avis sur cette "épreuve" que fut "Room 237".
La critique de Mr K: 4/6. Belle expérience pour ma part même si ce métrage s'est plutôt révélé être une épreuve pour ma douce et calme compagne... Disons-le tout de go, ici on a affaire à des acharnés, des furieux de Shining à qui l'on donne la parole durant deux heures. Ayant revu ce film mythique récemment deux fois au cinéma pour une action culturelle avec mes CAP menuisiers, je peux me targuer de bien le connaître et voir l'avis exposé dans une salle obscure par de gros geeks, fans du film m'enthousiasmait au plus haut point. Dans l'ensemble ce fut une bon moment de délire et de réflexion sur l'image et le sens que l'on donne à une oeuvre d'art de façon générale.
Clairement, on est face à une oeuvre totalement subjective. Tout n'est pas à prendre au sens propre et comme une vérité absolue. Certes il y a des révélations sympathiques que l'on connaissait déjà si l'on s'est un peu documenté (les changements et détails irréels de l'hôtel, notamment la fenêtre du bureau du directeur qui ne peut physiquement exister), le changement de machine à écrire, une chaise qui disparaît, un tricycle qui change d'étage sans prendre l'ascenseur ou l'escalier... Mais on a aussi des théories beaucoup plus fumeuses ayant trait à l'histoire des Etats Unis et du monde (génocide des amérindiens -théorie plutôt crédible pour moi- et génocide juif -là je trouve qu'on frise la démence-). La mythologie avec une affiche de skieur censé représenter le minotaure du labyrinthe de Knossos! On a même une résurgence de théorie du complot avec les liens obscures que Kubrick auraient avec la Nasa et les fameuses images faussées des premiers pas sur la Lune... On nage dans des délires parfois presque paranoiäques mais comme Kubrick l'était légèrement sur les bords... Je n'ai pas été choqué mais plutôt amusé.
Ce que j'ai préféré, c'est le règlement de compte entre Kubrick et Stephen King avec l'épisode sur la voiture des héros. Cela donne lieu à un jeu sur la couleur et un pseudo accident qui en dit long sur les rapports tendus entre l'écrivain et son réalisateur-traitre. Assez jouissif, c'est beau de voir des égos surdimentionnés se rentrer dedans avec une telle force. J'ai aussi aimé l'approche freudienne avancée par une fan et qui fait le rapprochement entre les différents membres de la famille et les apparitions. On savait Kubrick amateur de psychanalyse (Eyes Wide Shut est aussi énorme sur cet aspect des choses) mais là, le film prend tout un autre éclairage que j'ai trouvé enrichissant et intéressant. L'expérience sur le passage du film dans les deux sens de visionnage en même temps bien que ne prouvant strictement rien est assez bluffante quant on voit le résultat. Mention spéciale pour la musique qui est vraiment hypnotisante et angoissante à souhait, on y retrouve des sonorités du type de celles du mythique groupe Goblin qui avait notamment signé les magistrales BO de Suspiria de Dario Argento et de Zombie de Romero. Génial!
Au final, je dirai que ce film est vraiment à conseiller aux gros fans du métrage originel et qu'il faut vraiment l'avoir bien en tête pour en dégager la substantifique moëlle. Ma note n'est pas optimale car toute une partie du documentaire ressemble à de la simple masturbation intellectuelle sous acide (images subliminales notamment) et je trouve qu'on n'insiste pas assez sur l'étude des personnages et la destruction de la cellule familiale et des apparences par un réalisateur complètement borderline. Car ce film avant tout parle de la destruction de l'esprit humain, de pulsions incontrôlables et de la fin de toute chose (ici l'amour marital et l'enfance de Danny).
Un bon trip en quelque sorte qui a le mérite aussi de nous faire réfléchir sur l'art de la critique et de la vision dans l'art. Quel dommage que Kubrick ait été si discret sur ses intentions de son vivant, je pense qu'il y aurait eu matière à faire un "making of" et un essai psychanalytique et philosophique sur ce film intemporel et indépassable que s'est révélé être Shining.