"Globalia" de Jean-Christophe Rufin
L'histoire: La démocratie dans Globalia est universelle et parfaite, tous les citoyens ont droit au "minimum prospérité" à vie, la liberté d'expression est totale, et la température idéale. Les Globaliens jouissent d'un éternel présent et d'une jeunesse éternelle. Évitez cependant d'en sortir car les non-zones pullulent de terroristes et de mafieux. Évitez aussi d'être, comme Baïkal, atteint d'une funeste "pathologie de la liberté", vous deviendriez vite l'ennemi public numéro un pour servir les objectifs d'une oligarchie vieillissante dont l'une des devises est : "Un bon ennemi est la clef d'une société équilibrée".
La critique de Mr K: Cela faisait un petit bout de temps que ce livre me faisait de l'oeil dans ma PAL avant notre déménagement. Le temps a passé, j'ai du me sevrer de lecture pendant un mois à cause des travaux importants que nous devions réaliser et je me suis dit qu'un Rufin serait parfait pour reprendre une des activités que je préfère. Grand bien m'en a pris tant cette incursion dans l'anticipation de cet auteur plutôt spécialiste des romans d'aventures est réussie, inquiétante et prenante.
Globalia nous transporte sur Terre dans un futur possible où la démocratie est absolue, tellement d'ailleurs que le lecteur se rend vite compte qu'elle s'apparente davantage à du fascisme car sous le vernis de la liberté totale d'expression des manipulateurs œuvrent. Au centre de cet univers carcéral-libéral émergent dès les premiers chapitres trois personnages clefs qui n'arrivent plus à vivre dans cette société. Baïkal jeune homme rebelle à qui on a refusé de poursuivre ses étude en Histoire (le passé est à bannir, seul le présent compte) tente à tout prix de rejoindre les non-zones, les espaces de la planètes non couvertes par les bulles protectrices de Globalia, espaces sauvages et inconnus qui fascinent notre héros autant que sa copine Kate qui ne rêve elle que de s'échapper pour rejoindre son bel amant. Ils ont à leurs trousses les autorités de Globalia qui vont tout faire pour se servir d'eux pour consolider leur cause. Là-dessus vient se rajouter le personnage de Puig, journaliste viré pour avoir découvert le pot-aux-roses dans une affaire d'attentat terroriste monté de toute pièce par les autorités. Ces trois là sont faits pour se rencontrer, ça tombe bien... c'est ce qu'il va se passer!
Pour un retour à la lecture, il s'est avéré payant et distrayant à souhait. La SF est un genre que j'affectionne tout particulièrement et je dois avouer que même si cet auteur ne m'a jamais déçu, j'appréhendais cette incursion dans un genre qu'il n'avait jamais approché auparavant. Dieu m'en garde, Rufin assure autant que dans le romanesque. Bien sûr, en filigrane, il y a cette histoire d'amour remarquablement maîtrisée par l'auteur et son goût pour la description pleine de vie de ces personnages et des lieux qu'ils parcourent. Ce qu'il y a ici de profondément nouveau est sa capacité à nous transporter vers un ailleurs futuriste à la fois réaliste (ce n'est pas antinomique) et propice à l'évasion. On y croit et on est plongé dans un ensemble parfaitement pensé et emboîté. Résultat des courses, les pages se tournent toutes seules et petit à petit notre vision de Globalia s'enrichit pour nous donner une vision d'ensemble riche et très préoccupante. Le background épouse la trame et donne un grand roman d'anticipation mais aussi d'amour et de solidarité.
J'ai aussi beaucoup apprécié le personnage de Ron Altman qui se révèle être un personnage complexe et creusé à l'extrême. Plus qu'un simple "méchant", il est le double maléfique de Baïkal, son doppelganger à la fois créatif et destructif. A la manière de la Shiva hindouiste, il crée un univers et même des personnes (voir le contrat qu'il propose au héros) mais peut, quelques temps après détruire ou se détourner de ses créations. La nuance est donc de mise du début à la fin tant au niveau des personnages que de la société globalienne dans sa description et son fonctionnement. Cela laisse amplement le temps au lecteur de douter, de s'interroger, de prendre position, de retourner sa veste, de re-retourner sa veste... Bref, on a face à soi un livre à la fois réflectif et purement récréatif.
Je vais me répéter mais il faut lire Jean Christophe Rufin, le gouter, le déguster et le digérer. Il n'a pas son pareil pour littéralement transporter dans son univers le lecteur, le déraciner mais aussi l'interroger sur le monde actuel. Une belle œuvre d'anticipation que je conseille vivement à tous.
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