"L'agneau" de Christopher Moore
L'histoire: L'ange Gabriel était bien tranquille dans ses nuages à faire le ménage de ses fourreaux d'éclairs et de ses traînées de joie lorsque la tuile lui est tombée dessus. Le Fils lui-même le désigne pour redescendre incognito chez les humains remplir une mission de confiance: retrouver le meilleur pote du Christ qui, deux mille ans plus tôt, faisait les quatre cents coups avec lui. Ce dénommé Biff -littéralement Labeigne- est une terreur qui a expérimenté pour son pote tous les pêchés. Il sait tout. Gabriel va tomber des nues. Lui qui devait lui faire raconter son histoire dans la plus grande discrétion va bien involontairement orchestrer le chaos. Comme le dit Biff lui-même: «Vous pensez connaître la fin de cette histoire, mais vous vous trompez. Je sais de quoi je parle: j'y étais». Jubilatoire!
La critique de Mr K: Ne vous laissez pas abuser par la couverture, cet excellent livre a été mal "classé", il ne relève aucunement du policier. On ne peut en vouloir à la maison Folio pour cet écart tant il paraît difficile d'étiqueter une œuvre telle que celle-ci. Pour faire simple, je dirai que c'est une variation autour de la vie de Jésus. Pas un pastiche pour autant, l'auteur prenant le risque culotté de faire découvrir Jésus à travers les yeux de son meilleur ami, Biff (alias Lévy) et suivant la chronologie de la vie du messie entre données bibliques et hypothèses personnelles.
C'est donc une plongée dans l'antiquité qui nous est proposée ici. Les tableaux sont criants de vérité dans tout ce qui concerne la vie quotidienne, l'exercice de la domination territoriale par les romains et les tensions inter-confessionnelles. Là où l'auteur marque sa différence (et elle est de taille) c'est concernant Jésus (aka Joshua). Si l'on se fie uniquement aux écrits bibliques, on ne connaît finalement pas grand chose du "fils de Dieu". Il y a un gigantesque "trou" entre sa naissance et ses trente ans, âge où il va exercer son magister, c'est-à-dire qu'il va rencontrer ses apôtres et prêcher ses idées auprès des foules. Ce vide est d'autant plus frustrant que c'est pendant ces années d'ombre qu'il a du se forger en tant qu'homme et messie. Tout y est abordé dans ce livre, autant vous dire que l'on s'éloigne de l'orthodoxie catholique pour aborder les rivages des supputations et des hypothèses.
Ce qui m'a marqué c'est que les révélations-hypothèses avancées dans cet ouvrage rejoignent les quelques réflexions et déductions que j'avais pu émettre lors de mes cours d'histoire des religions à la fac. Pendant ce laps de temps inconnu, Jésus a du faire des rencontres pour se construire lui et ses idées. Pour cela, rien de tel que les voyages. C'est de cette hypothèse que Christopher Moore a bâti ce livre: Jésus est parti en compagnie de son meilleur ami découvrir le monde et par là même sa destinée. Une fois ce fait admis par le lecteur c'est le début d'une lecture fortement enrichissante et jubilatoire à souhait comme le précise la quatrième de couverture. Par le truchement du personnage de Biff, compagnon haut en couleur et fidèle parmi les fidèles, c'est la rencontre entre le monde juif et les religions orientales, et la mise en exergue de principes qui dépassent le cadre d'une religion et qui devrait régir les communautés humaines. En ce sens, ce roman est un réel écrit d'apprentissage mâtiné de passages humoristiques à souhait. On rit et on s'enrichit beaucoup.
On croise nombre de personnages croustillants. Au premier rang, il y a Biff qui va accompagner son meilleur ami durant toutes ses vertes années et qui collectionne les casseroles. Il y a aussi l'ange Gabriel obnubilé par la société de consommation moderne (il a ressuscité Biff à notre époque pour qu'il écrive sa propre évangile, sa version des faits), amateur de soap et autres conneries télévisuelles. Ne parlons pas des rois mages qui s'apparentent à des gourous et autres mystificateurs. On rit énormément mais on sent que l'auteur n'est pas là pour détruire un mythe mais plutôt pour apporter un éclairage différent. En ce sens, c'est parfaitement réussi avec toujours comme ligne directrice le respect des croyants. Ainsi, à mes yeux, un chrétien peut tout à fait lire L'agneau et garder sa foi intacte.
J'ai littéralement dévoré ce volume. L'écriture est une merveille d'efficacité entre érudition et humour, simple d'accès et rythmée à souhait. On ne s'ennuie jamais et on veut savoir la suite sans vraiment pouvoir relâcher son attention. Prouesse conséquente en soi quand on sait déjà comment l'histoire se termine. Une très bonne et distrayante expérience que je vous convie à tenter au plus vite afin, peut-être, de voir le monde des religions autrement.