"Rouge Brésil" de Jean-Christophe Rufin
L'histoire: La conquête du Brésil par les Français est un des épisodes les plus extraordianires et les plus méconnus de la Renaissance.
Deux enfants, Just et Colombe, sont embarqués de force dans cette expédition pour servir d'interprètes auprès des tribus indiennes. Tout est démesuré dans cette aventure. Le cadre: la baie sauvage de Rio, encore livrée aux jungles et aux indiens cannibales. Les personnages – et d'abord le chevalier de Villegagnon, chef de cette expédition, nostalgique des croisades, pétri de culture antique. Les événements: le huis clos dramatique de cette France des Tropiques est une répétition générale, avec dix ans d'avance, des guerres de religion.
La critique de Mr K: Prix Goncourt 2001, ce livre a été une double révélation pour moi: la découverte d'un épisode oublié de l'histoire française (un bel échec!) et celle d'un auteur extrêmement talentueux. Oubliez les images d'Épinal qui sont liées aux lauréats de ce fameux prix, ici le récit est vivant, passionnant, le souffle épique et il est très difficile, voire impossible de refermer Rouge Brésil avant d'en avoir parcouru la dernière ligne.
Nous voilà plongés en pleine Renaissance, lors des voyages des grandes découvertes, au temps où les grandes puissances européennes cherchent à se partager le monde et à explorer les zones d'ombres des portulans. L'Église s'est séparée en deux mouvements bien différents (Catholiques et Protestants) et l'évangélisation des "sauvages" bat son plein. À l'aube des guerres des religions, nous suivons deux jeunes gens qui vont découvrir le nouveau monde, ici le Brésil si attractif pour ses bois précieux (d'où le titre) et si mystérieux et mystique de par les populations qui y habitent, des indiens cannibales aux mœurs aussi cruelles qu'en harmonie avec la nature.
Amateur devant l'Eternel de récits de voyage (Terreur de Dan Simmons dernièrement m'avait estomaqué), j'ai été servi. Le voyage en bateau est éprouvant car ultra-réaliste, moultes détails parsèment les chapitres qui lui sont consacrés sans pour autant tomber dans l'accumulation de détails indigestes. On y fait connaissance avec les deux jeunes orphelins qui vont devoir une fois sur place se mêler aux indigènes afin d'apprendre leurs mœurs et leurs langues: autant Just est l'incarnation du courage et de valeurs chevaleresques / courtoises, autant Colombe est le symbole de la curiosité et de l'écoute mutuelle possible entre les cultures. On suit leur évolution vers l'âge adulte entre espoirs et désillusions, dans un monde peuplé d'adultes tournés vers l'ivresse de la foi, de l'argent et de la gloire. Au premier rang de ceux-ci on trouve le chevalier de Villegagnon, représentant du roi de France fermement décidé à créer une nouvelle France et propager la foi catholique. Personnage ambigu, le lecteur oscille entre admiration et répulsion pour ce personnage historique ici romancé.
Une fois arrivée sur place, l'expédition prend position sur un îlot. Le huis clos marin cède la place au huis clos terrestre sur cet arpent de terre hostile où les conditions de vie sont hostiles pour ces européens perdus et affaiblis. C'est aussi le temps des premiers contacts avec les primitifs et pour Colombe ce sera la Révélation. À cette occasion, le roman prend la forme d'un récit d'initiation, l'auteur y écrivant ses plus belles pages sur la rencontre entre la jeune orpheline et la tribu habitant les rivages de la baie de Rio. Pendant ce temps là, les français s'entredéchirent sur l'îlot, entre protestants et catholiques le torchon brûle et les velléités de chacun éclatent au grand jour. La tension monte, rien ne nous est épargné, des passages sont rudes mais à aucun moment l'auteur ne tombe dans la facilité du manichéisme même s'il est clair que l'avidité et la soif de richesse dévore littéralement les colons. Il est intéressant dans ce livre de voir la vision qu'ont sans doute eu les primitifs sur ces diables blancs, ici ce point de vue est porté à notre connaissance sans pathos mais aussi sans censure, bougrement réussi en tout cas!
On se laisse porter par l'écriture à la fois exigeante et légère de Rufin. Les pages se tournent d'elles-mêmes et l'on est tout surpris d'être arrivé à la fin. Attention à l'addiction car ici elle est quasiment instantanée! Une excellente lecture que je ne saurais que trop vous recommander!